Déconstruire les idées fausses à propos des armes biologiques, chimiques et des cadres juridiques connexes

Introduction

Cette page Web et le rapport correspondant constituent les principaux résultats d’un projet entrepris par VERTIC en 2022 et 2023, financé par le UK Chemical and Biological Weapons, Counter Proliferation and Arms Control Centre du Foreign, Commonwealth and Development Office. L’objectif principal de cette ressource consiste à réfuter les idées fausses sur les armes chimiques et biologiques, sans oublier les instruments internationaux connexes. Elle traite des idées fausses sur les armes biologiques et chimiques et les cadres juridiques connexes que le personnel de VERTIC a identifiées lors de ses interactions avec les États au cours des 20 années de travail sur ces traités, et à partir d’autres sources telles que les médias. Chaque idée fausse est décomposée en une explication de l’idée fausse et de ses implications, ainsi que de la manière d’y remédier. Les idées fausses sont ensuite réfutées par des discussions factuelles et juridiques, étayées par des commentaires d’experts.

En s’attaquant aux idées fausses qui existent depuis longtemps, cette page Web doit demeurer pertinente à moyen et long terme et éclairer l’opinion publique, les débats et les décisions lors des réunions de traités. La page Web garantit la disponibilité à titre gratuit des informations pertinentes dans un format simple d’accès et de lecture. Nous espérons que cette ressource entraînera des avantages tangibles pour un large éventail de parties prenantes, notamment les législateurs, les décideurs politiques, les services diplomatiques, les experts techniques, la société civile et le monde universitaire, les jeunes professionnels et les apprenants dans ce domaine, ainsi que les médias et le grand public. Elle constitue un outil pratique que les décideurs politiques pourront utiliser pour dissiper les malentendus, équiper les experts techniques afin qu’ils puissent s’attaquer aux idées fausses lors des activités de formation ou de sensibilisation et approfondir la compréhension des lecteurs qui ne sont pas familiers avec le cadre international pertinent. VERTIC peut également chercher à mettre à jour la page Web de manière continue afin de réfuter les nouvelles idées fausses sur les armes biologiques et chimiques que le personnel pourrait rencontrer, si les fonds le permettent.

Cette page Web et le rapport connexe ont été présentés lors d’un événement parallèle à la neuvième Conférence d’examen de la Convention sur les armes biologiques, le 13 décembre 2022, avec des intervenants du gouvernement du Royaume-Uni, de la Foundation for Strategic Research et de l’Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement.

  • VERTIC et le programme NIM

    VERTIC, (Centre de recherche, de formation et d’information sur la vérification) est une organisation caritative indépendante, à but non lucratif, établie à Londres, au Royaume-Uni. Créée en 1986, l’organisation VERTIC soutient le développement, la mise en œuvre, la vérification et le respect des accords internationaux par la recherche et l’analyse, l’assistance et la formation, la diffusion d’informations et l’interaction avec les communautés gouvernementales, diplomatiques, techniques, scientifiques et non gouvernementales. VERTIC travaille avec les États, les organisations internationales et intergouvernementales, la société civile, le monde universitaire, l’industrie et d’autres acteurs. L’organisation surveille également les développements liés aux régimes dans le domaine public au sens large.

    Le Programme de mesures nationales de mise en œuvre (NIM) de VERTIC, initié en 2008, fournit une assistance sur mesure aux États en vue de l’adhésion aux instruments internationaux et de leur mise en œuvre, notamment ceux liés aux armes chimiques, biologiques, nucléaires et radiologiques, ainsi qu’à la sécurité des matières connexes. Le programme NIM dispense une assistance gratuite aux États intéressés par le biais d’actions de sensibilisation, d’analyses juridiques et de rédaction de textes législatifs. Depuis plus d’une décennie, le programme NIM est dédié à l’analyse systématique et à la rédaction de la législation de mise en œuvre des États concernant la Convention sur les armes biologiques et la Convention sur les armes chimiques. Grâce à notre engagement auprès de plus de 145 États dans le monde et à notre participation aux processus diplomatiques et techniques, nous avons acquis une compréhension unique des approches adoptées par les États pour mettre en œuvre les conventions et les pratiques efficaces.

  • Idée fausse n° 1 : la CAB ne traite pas de l’utilisation des armes biologiques.

    L’idée fausse et ses implications
    Selon une idée fausse, très répandue, la Convention sur les armes biologiques ne couvre pas l’utilisation des armes biologiques. Si le régime de la CAB devait être considéré comme un document ne couvrant pas l’utilisation des armes biologiques, ce manquement représenterait une grave lacune, susceptible de compromettre la pertinence de la Convention. La croyance en cette idée fausse peut amener un État partie à se méprendre sur l’étendue de ses obligations juridiques au titre de la CAB.

    Écarter l’idée fausse
    En vertu de l’article I de la CAB, chaque État partie « s’engage à ne jamais, et en aucune circonstance, mettre au point, fabriquer, stocker, ni acquérir d’une manière ou d’une autre ni conserver » des armes biologiques. Il convient de noter l’absence d’engagement visant à ne jamais utiliser d’armes biologiques. Lors des négociations d’un traité sur les armes biologiques, une interdiction explicite a été proposée, mais certains États ont estimé qu’elle n’était pas appropriée pour un certain nombre de raisons et le terme n’a donc pas été inclus dans les propositions ultérieures.[1] Pourtant, dans la CAC, un traité similaire interdisant une catégorie d’armes, l’utilisation d’une arme chimique est expressément interdite en vertu de l’article I(1)(b). Néanmoins, malgré l’omission du mot « utilisation » dans le texte du traité, la CAB interdit implicitement l’utilisation d’armes biologiques. Elle y parvient de trois manières, à savoir (i) par l’interdiction de la possession, (ii) par la référence au Protocole de Genève et (iii) par les accords supplémentaires conclus lors des conférences d’examen de la CAB.

    Interdiction de la possession : comme indiqué ci-dessus, l’article I de la CAB interdit la possession d’armes biologiques. Pour utiliser une arme biologique, dans la plupart des cas, l’auteur du crime doit d’abord posséder l’arme. En tant que telle, l’utilisation d’une arme biologique est donc implicitement interdite par l’interdiction de la possession de l’arme.

    Protocole de Genève : le préambule de la CAB réaffirme le Protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques (Protocole de Genève) en reconnaissant son importance et sa contribution à l’atténuation des horreurs de la guerre. Le préambule note en outre que les États parties sont « résolus, dans l’intérêt de l’humanité tout entière, à exclure totalement la possibilité de voir des agents bactériologiques (biologiques) ou des toxines être utilisés en tant qu’armes ». Le Protocole de Genève interdit l’emploi d’armes biologiques comme moyens de guerre, lorsque les États parties au Protocole « acceptent d’étendre cette interdiction d’emploi aux moyens de guerre bactériologique et conviennent de se considérer comme liés entre eux aux termes de cette déclaration ». L’article VIII de la CAB renforce encore l’interdiction d’utiliser des armes biologiques. Selon l’article : « Aucune disposition de la présente Convention ne sera interprétée comme restreignant ou amenuisant de quelque façon que ce soit les engagements assumés par n’importe quel État en vertu du Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé à Genève le 17 juin 1925. » Le titre de la CAB et le texte du traité élargissent la notion de méthodes de guerre « bactériennes » à celle de méthodes « biologiques » et font également référence aux toxines, témoignant d’une évolution dans la compréhension de cette catégorie d’armes. Par conséquent, les références de la CAB au Protocole garantissent la couverture de l’utilisation. L’idée fausse n° 14 du présent rapport examine plus en détail la pertinence du Protocole de Genève et présente sa relation avec la CAB et la CAC.

    Conférences d’examen : les documents finaux des conférences d’examen de la CAB fournissent des orientations sur l’interprétation de la Convention, et précisent la compréhension qu’ont les États parties de leurs obligations au titre de la Convention. Les conférences d’examen successives ont réaffirmé que l’utilisation d’une arme biologique par les États parties à la CAB représenterait une violation du traité, le document final de la huitième Conférence d’examen notant que « le fait, pour des États parties, d’employer des agents microbiologiques ou d’autres agents biologiques ou des toxines de quelque manière et en quelques circonstances que ce soit, sans que cela réponde à des fins de prophylaxie ou de protection ou à d’autres fins pacifiques, constitue effectivement une violation des dispositions de l’article premier ».[2] En tant que telle, toute utilisation d’une arme biologique par un État partie est considérée comme une violation de l’article I de la CAB. L’adhésion à la CAB et sa mise en œuvre sont donc importantes pour garantir que les armes biologiques ne sont pas utilisées.

    [1] Voir par exemple que certains États « considéraient que la question était déjà “clairement et sans équivoque” réglée par le Protocole de Genève et qu’une disposition interdisant uniquement la guerre biologique porterait atteinte au Protocole qui interdit à la fois la guerre biologique et la guerre chimique. » SIPRI, « The Problem of Chemical and Biological Warfare: Volume IV, CB Disarmament Negotiations, 1920-1970 », p. 316. Pour de plus amples informations sur le contexte de l’omission du terme « utilisation » dans le texte de la CAB, consulter « BWPP Biological Weapons Reader », édité par Kathryn McLaughlin et Kathryn Nixdorff, 2009, chapitre 2. « History of BTW Disarmament » Marie Isabelle Chevrier p. 13-19, Jean Pascal Zanders, « The Meaning of ‘Emergency Assistance’: Origins and negotiation of Article VII of the Biological and Toxin Weapons Convention », document de travail, The Trench/Fondation pour la Recherche Stratégique, 2018, et Jean Pascal Zanders et Susanna Eckstein, « The Prohibition of “Use” under the BTWC: Backgrounder on relevant developments during the negotiations, 1969-1972 », SIPRI, révision 2015. Des discussions similaires ont eu lieu lors des négociations de la CAC, cependant l’utilisation a été incluse dans le texte final de la Convention sur les armes chimiques.

    [2]Se reporter à la huitième Conférence d’examen des États parties à la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, « Document final de la huitième Conférence d’examen », BWC/CONF.VIII/4, 11 janvier 2017, article 1(3).

  • Idée fausse n° 2 : le terme « sécurité biologique » n’a qu’un seul sens, celui de la protection de la biodiversité.

    L’idée fausse et ses implications
    Cette idée fausse concerne la portée du terme « sécurité biologique » dans le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique (Protocole de Carthagène) et la « sécurité biologique » en laboratoire, telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à propos de la manipulation sûre des agents biologiques et des toxines. Ce malentendu apparemment mineur peut entraver les efforts de rédaction législative s’il crée la fausse impression que la sécurité biologique, telle que définie par l’OMS, est couverte par un système juridique national dans les cas où l’État en question a déjà créé des instruments juridiques pour protéger la biodiversité (ou à l’avenir, si l’État a l’intention de mettre en œuvre le Protocole de Carthagène). Lors de la mise en œuvre de la CAB, conformément à l’article IV du traité, la huitième conférence d’examen de la convention a noté que les États parties doivent adopter des mesures de sécurité biologique et de sûreté biologique.[1] La sûreté biologique peut être comprise comme des mesures visant à empêcher l’accès non autorisé, la perte, le vol, l’utilisation abusive, le détournement ou la libération intentionnelle d’agents biologiques. Parmi les exemples de mesures de sécurité biologique et de sûreté biologique susceptibles d’être adoptées figurent des mesures visant à comptabiliser et à sécuriser la production, l’utilisation, le stockage et le transport d’agents biologiques et de toxines particulièrement dangereux.

    Écarter l’idée fausse
    Le texte de la CAB ne contenant pas le terme « sécurité biologique », il est important de prendre en compte d’autres documents acceptés à l’échelle internationale qui définissent ce terme. Le Manuel de sécurité biologique en laboratoire de l’OMS (MBL), 4e édition, est un document d’orientation international important qui fait autorité. Révisé en 2020, le manuel propose une approche du sujet fondée sur le risque et sert de « référence mondiale de facto définissant et établissant les tendances en matière de sécurité biologique. »[2] Il définit la sécurité biologique comme « les principes, technologies et pratiques de confinement qui sont mis en œuvre pour prévenir l’exposition involontaire à des agents biologiques ou leur libération par inadvertance.[3] » Dans ce contexte, la sécurité biologique concerne donc les mesures visant à prévenir l’exposition involontaire ou la libération accidentelle d’agents biologiques, afin de garantir que les activités pacifiques impliquant de tels matériaux ne sont pas dangereuses pour ceux qui les manipulent et pour le grand public. Le terme « sécurité biologique en laboratoire » est parfois employé. L’Organisation internationale de normalisation (ISO) définit plus précisément la sécurité biologique de manière similaire dans sa norme 35001:2019, « Système de management des biorisques en laboratoires et autres organismes associés ».[4]

    Le Protocole de Carthagène est « un accord international qui vise à assurer la sécurité de la manipulation, du transport et de l’utilisation des organismes vivants modifiés (OVM) résultant de la biotechnologie moderne qui peuvent avoir des effets défavorables sur la diversité biologique, compte tenu également des risques pour la santé humaine. »[5] Il a été adopté comme accord complémentaire à la Convention sur la diversité biologique le 29 janvier 2000 et compte actuellement 173 États parties.

    La sécurité biologique n’est pas expressément définie dans le texte du Protocole de Carthagène, mais l’introduction du Protocole indique que la « sécurité biologique est l’une des questions abordées par la Convention. Ce concept renvoie à la nécessité de protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets indésirables possibles des produits de la biotechnologie moderne. » L’article 20 du Protocole précise la création du Centre d’échange pour la prévention des risques biotechnologiques, un mécanisme international visant à faciliter l’échange d’informations scientifiques, techniques, environnementales et juridiques sur les organismes vivants modifiés et l’expérience en la matière, ainsi qu’à permettre aux Parties de mettre en œuvre le Protocole.

    Par conséquent, il y a un chevauchement entre la compréhension de la sécurité biologique selon la Convention sur les armes biologiques et le MBL de l’OMS et selon le Protocole de Carthagène, car ces deux instruments traitent de la sécurité des organismes vivants modifiés.[6] Néanmoins, le champ d’application de la sécurité biologique dans le contexte de la Convention concernant les armes biologiques et des instruments connexes tels que le MBL de l’OMS est plus général, puisqu’il concerne tous les agents biologiques, indépendamment de leur origine.

    En outre, les objectifs des deux traités sont différents. L’objectif du Protocole de Carthagène peut être compris comme suit : protéger « la nature contre les risques potentiels posés par ces organismes en établissant des procédures que les pays peuvent utiliser pour prendre des décisions éclairées sur leur importation ».[7] La CAB, quant à elle, interdit la mise au point, la production, l’acquisition, le transfert, le stockage et l’utilisation d’armes biologiques et à toxines et vise à garantir l’utilisation sûre et sécurisée des agents biologiques afin d’empêcher leur utilisation abusive.

    Les différences susmentionnées signifient qu’en dépit de certains chevauchements, les États devront établir un certain nombre de mesures de contrôle différentes pour mettre en œuvre les deux traités. Comme indiqué ci-dessus, de nombreux États ont donné à la législation mettant en œuvre le protocole de Carthagène des titres tels que la « loi sur la sécurité biologique ». En raison de la différence de portée et d’accentuation des deux instruments, la législation mettant en œuvre le Protocole de Carthagène ne répondrait pas à toutes les exigences de mise en œuvre nationale de la CAB en matière de sécurité biologique. Pour mettre pleinement en œuvre la CAB, il est nécessaire que les États adoptent des mesures au niveau national pour empêcher l’exposition involontaire ou la libération accidentelle de tous les agents biologiques.

    [1] Ibid, Article IV 11(c).
    [2] Se reporter à OMS, « Manuel de sécurité biologique », 21 décembre 2020, consulté au lien https://www.who.int/publications/i/item/9789240011311.
    [3] OMS, « Manuel de sécurité biologique : quatrième édition », Glossaire des termes, page x.
    [4] Se reporter à Organisation internationale de normalisation « ISO 35001:2019 Système de management des biorisques en laboratoires et autres organismes associés », « sécurité biologique ».
    [5] Convention sur la diversité biologique, « Le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques », consulté au lien https://bch.cbd.int/protocol/.
    [6] Selon la définition de l’article 1 de la CAB, les armes biologiques sont « des agents microbiologiques ou autres agents biologiques, ainsi que des toxines, quels qu’en soient l’origine ou le monde de production. » En tant que tels, les organismes vivants modifiés entrent dans le champ d’application de la CAB.
    [7] Gouvernement du Canada, « Biosécurité : Protocole de Carthagène », consulté au lien https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/organisation/affaires-internationales/partenariats-organisations/biosecurite-protocole-carthagene.html.

  • Idée fausse n° 3 : la recherche biologique transfrontalière constitue une violation de la CAB.

    L’idée fausse et ses implications
    Cette idée fausse concerne la croyance selon laquelle la collaboration internationale en matière de santé publique et la recherche biologique transfrontalière sont intrinsèquement suspectes et constituent une violation de la CAB. Les États collaborent souvent à la recherche sur les agents biologiques et les toxines à des fins pacifiques, mais cette collaboration peut être considérée comme problématique par certains acteurs qui associent la recherche biologique à la recherche et au développement d’armes biologiques. La recherche n’est pas couverte par la CAB, alors que la mise au point d’armes biologiques est interdite en vertu de l’article I.

    Il est important de noter que cette idée fausse a été diffusée dans des campagnes de désinformation pour discréditer toute collaboration internationale légitime en matière de santé publique et pour prétendre que certains États violent la CAB en mettant au point des armes biologiques.

    Écarter l’idée fausse
    La collaboration transfrontalière en matière de recherche sur les agents biologiques et les toxines ne constitue pas une violation de la CAB, à moins que cette recherche ne soit contraire à l’article I (comme la recherche visant à mettre au point une arme biologique). En effet, le critère de destination générale figurant à l’article I de la Convention dispose que la question de déterminer si un agent biologique ou une toxine peut être considéré comme une arme biologique dépend de la finalité du matériel en question. En outre, les armes biologiques sont des agents et des toxines « de types et en quantités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins pacifiques », ce qui démontre que les activités impliquant de telles matières à certaines fins sont autorisées par la Convention. Ainsi, les activités impliquant des agents biologiques et des toxines à des fins prophylactiques, protectrices ou autres fins pacifiques ne représentent pas une violation de la CAB.

    Il convient de noter que cette collaboration internationale à des fins de recherche est expressément visée par l’article X de la CAB. En vertu de cette disposition, les États parties « facilitent l’échange le plus complet possible de produits chimiques, de matériel et d’informations scientifiques et techniques » à des fins pacifiques, et ont le droit d’y participer. Le renforcement des capacités et la recherche sur les maladies infectieuses sont des sujets clés de cet échange. Les conférences d’examen successives de la CAB ont demandé instamment ce qui suit :

    « Les États parties qui sont en mesure de le faire doivent continuer à soutenir, directement ainsi que par l’intermédiaire d’organisations internationales, le renforcement des capacités des États parties qui ont besoin d’aide dans les domaines de la surveillance, de la détection, du diagnostic et de la lutte contre les maladies infectieuses et de la recherche connexe. »[1]

    Les États parties à la CAB dotés de systèmes avancés fournissent souvent une assistance dans les domaines de la surveillance, de la détection, du diagnostic et de la lutte contre les maladies infectieuses et de la recherche connexe afin de renforcer les capacités, compte tenu des effets transfrontaliers potentiels des épidémies de maladies infectieuses. Une telle coopération a, par exemple, été essentielle dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 et présente des avantages évidents pour l’humanité.[2] En outre, des accords supplémentaires relatifs à l’article VII du traité ont noté que la préparation nationale est essentielle pour prévenir ou répondre à l’utilisation d’armes biologiques et que les États parties peuvent coopérer en vue du renforcement de ces capacités.[3]

    Dans l’ensemble, la position du droit international a été récemment résumée par le Dr Jean-Pascal Zanders, expert indépendant sur les armes chimiques et biologiques, qui a déclaré : « Les armes biologiques sont interdites ; la recherche biologique ne l’est pas ».[4] La CAB interdit la militarisation des agents biologiques et des toxines, mais facilite l’utilisation de ces matériaux à des fins pacifiques. En vertu du critère de destination générale, la préparation de la production ou de la mise au point d’armes biologiques se distingue, par sa finalité, de la recherche autorisée.[5] L’aspect transfrontalier de la recherche autorisée permet aux États parties à la CAB de profiter des avantages des activités pacifiques impliquant des agents biologiques et des toxines, ainsi que de renforcer les capacités nationales de lutte contre les maladies infectieuses. La collaboration internationale concernant la recherche sur les agents biologiques ne doit pas être considérée comme suspecte et a contribué à sauver des vies dans le monde entier.

    [1] Voir, par exemple, le « Document final de la huitième Conférence d’examen », article X, 64(e).
    [2] See Governments of the United States of America, Armenia, Georgia, Iraq, Jordan, Liberia, Philippines, Sierra Leone, Uganda, and Ukraine, « Joint Statement on the Contribution of Cooperative Threat Reduction Partnerships to Global Health Security », 29 août 2022, document consulté au lien https://www.state.gov/joint-statement-on-the-contribution-of-cooperative-threat-reduction-partnerships-to-global-health-security.
    [3] Voir, par exemple, « Document final de la huitième Conférence d’examen », article VII.
    [4]EU vs Disinfo, « Biological weapons are banned; biological research is not », 8 avril 2022, consulté au lien https://euvsdisinfo.eu/biological-weapons-are-banned-biological-research-is-not/.
    [5] Consulter Walter Krutzsch, Eric Myjer, Ralf Trapp, « The Chemical Weapons Convention: A Commentary », Oxford Commentaries on International Law, août 2014, article 1 pour une discussion similaire sur la mise au point d’une arme chimique par rapport à la recherche autorisée.

  • Idée fausse n° 4 : les armes biologiques appartiennent au passé.

    L’idée fausse et ses implications
    Selon cette idée fausse, les armes biologiques ne sont pas utiles sur le plan militaire ou stratégique et sont donc obsolètes. Ce point de vue concernant l’inutilité des armes biologiques découle d’un certain nombre de difficultés liées à leur utilisation sur le champ de bataille et de l’opinion selon laquelle leur utilité peut être limitée par rapport à l’investissement nécessaire à la création d’un programme d’armes biologiques. Plusieurs propriétés caractéristiques freinent leur utilité militaire, comme les défis liés à la période d’incubation, le confinement, la persistance, l’instabilité, l’infectivité et la rétroactivité.[1] En outre, les exemples d’utilisation d’armes biologiques dans l’histoire récente sont relativement rares et il n’y a pas eu de cas confirmé d’utilisation d’armes biologiques à échelle massive sur le champ de bataille depuis des décennies.[2]

    Cette idée fausse implique que les armes biologiques ne constituent pas une menace, car elles ne sont pas utiles à des acteurs hostiles et que, par conséquent, peu d’attention doit être accordée aux risques de prolifération liés à ces armes.

    Écarter l’idée fausse
    Malgré l’absence d’utilisation récente à échelle massive des armes biologiques, celles-ci continuent de représenter une menace importante et grave pour la paix et la sécurité internationales. Ces dernières années, des acteurs non étatiques ont cherché à mettre au point et à utiliser des armes biologiques. Deux individus affiliés à l’État islamique/Da’esh en Irak et au Levant ont été poursuivis en Allemagne pour avoir fabriqué une arme biologique.[3] Le risque évident de bioterrorisme et de biocriminalité à fort impact représente donc un défi important pour les responsables de l’application de la loi dans le monde entier.

    Le 21e siècle a connu des avancées remarquables en matière de science et de technologie, modifiant le potentiel des armes biologiques. Les nouvelles biotechnologies, notamment l’intelligence artificielle, la biologie synthétique et la génétique, peuvent donner aux États et à d’autres acteurs de nouveaux moyens d’utiliser des armes biologiques. Katherine Charlet, directrice inaugurale du programme Technologie et affaires internationales de Carnegie, a noté en 2018 que les nouvelles technologies peuvent réduire les obstacles à la participation dans des programmes d’armes biologiques, déclarant que les « facteurs combinés d’un coût plus faible, d’un accès plus facile et d’une plus grande efficacité … peuvent inciter les États voyous et les petits États à reconsidérer l’utilité marginale d’investir dans les armes biologiques. »[4] L’absence d’utilisation d’armes biologiques dans l’histoire récente est un bon signe, mais elle ne signifie pas que de telles armes ne seront jamais employées.

    Enfin, il est crucial de tenir compte de l’impact potentiellement dévastateur d’une attaque aux armes biologiques dans un environnement mondial interconnecté. La pandémie de COVID-19, bien qu’elle ne résulte pas de l’utilisation d’une arme biologique, a démontré le danger de la propagation d’agents biologiques dangereux. Comme l’a noté Mme Izumi Nakamitsu, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Haute représentante pour les affaires de désarmement :

    « Nous avons été témoins du coût économique et humanitaire catastrophique de la pandémie de COVID-19, qui perdure encore aujourd’hui. L’impact humain de cette pandémie indique clairement les effets destructeurs liés à l’utilisation intentionnelle d’agents biologiques similaires à des fins malveillantes. »[5]

    Le potentiel mortel des agents biologiques démontré tout au long de la pandémie a conduit à une attention accrue sur la sécurité de ces agents, et il est crucial que des acteurs malveillants ne soient pas en mesure d’accéder aux matériaux nécessaires pour développer des armes biologiques. L’effet d’une arme biologique d’un potentiel destructeur moins élevé que celui d’une pandémie mondiale peut néanmoins entraîner des conséquences catastrophiques et des répercussions déstabilisantes. Dans l’ensemble, malgré la création de la CAB et l’utilisation limitée d’armes biologiques dans l’histoire récente, la militarisation d’agents biologiques continue de représenter une menace importante pour l’humanité. Il est donc essentiel de garantir des mesures adéquates de sécurité et de sûreté biologiques dans le monde entier et de renforcer la CAB, ainsi que la norme contre les armes biologiques.

     [1]« BWPP Biological Weapons Reader », p 10.

    [2] Voir W. Seth Carus, Defining « Weapons of Mass Destruction », Center for the Study of Weapons of Mass Destruction Occasional Paper, n° 8, janvier 2012, p 44.

    [3] Thomas Brown, « Judicial Enforcement of BWC and CWC implementing legislation » Brief VERTIC n° 34, février 2022, p 3-4.

    [4] Katherine Charlet, « The New Killer Pathogens: Countering the Coming Bioweapons Threat », Affaires étrangères, 17 avril 2018.

    [5] Discours d’ouverture de Mme Izumi Nakamitsu, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Haute représentante pour les affaires de désarmement, Consultations ouvertes sur l’examen complet de l’état de mise en œuvre de la résolution 1540 (2004), 31 mai 2022.

  • Idée fausse n° 5 : la CAB est un engagement uniquement politique.

    L’idée fausse et ses implications
    La CAB serait inapplicable et ne constituerait donc qu’un instrument politique, en raison de l’absence d’un mécanisme de vérification international juridiquement contraignant.

    Cette idée fausse a pour conséquence de saper le régime du traité et les interdictions prévues aux articles I et III.[1] Cette idée fausse est née de l’absence de mécanisme de vérification et de mécanismes connexes ; la CAB est souvent comparée au régime de la CAC, ainsi qu’aux divers mécanismes de vérification et de surveillance prévus par cette dernière. Cette idée fausse peut entraîner des conséquences désastreuses au niveau international en affaiblissant les interdictions fondamentales de la CAB et en ne décourageant pas les violations du traité.

    Écarter l’idée fausse
    Tout d’abord, il est important de préciser qu’il n’existe pas de mécanisme de vérification juridiquement contraignant dans le cadre de la CAB, en raison des divergences de points de vue sur les implications de la vérification et les difficultés pratiques liées à de telles activités dans ce domaine.[2] Notamment, « la vérification de la CAB pose des défis uniques et substantiels en raison de la nature à double usage des matières, des équipements et du savoir-faire technique nécessaires à un programme d’armes biologiques. »[3] Le débat sur la vérification de la CAB a été largement abordé par les commentateurs experts, et les discussions sur la vérification se poursuivent pendant et en marge des réunions internationales concernant la CAB.[4]

    Malgré cette absence bien documentée de mécanismes de vérification complets, la CAB n’est pas inapplicable. La CAB est un traité international qui crée des obligations internationales contraignantes pour les États parties en vertu du droit international et, par conséquent, elle n’est pas un instrument politique. Une violation du traité, la mise au point d’une arme biologique par un État par exemple, constituerait donc une violation du droit international. Malgré l’absence d’un mécanisme de vérification contraignant, les États parties à la CAB ont lancé des initiatives visant à renforcer la confiance et la transparence, afin de s’assurer mutuellement du respect du traité. Par exemple, la deuxième Conférence d’examen de la CAB a entraîné l’adoption des mesures de confiance, qui visent à « prévenir ou réduire les ambiguïtés, les doutes et les soupçons, ainsi qu’à améliorer la coopération internationale dans le domaine des activités biologiques pacifiques ».[5] Ces importantes initiatives de transparence contribuent à donner aux États parties une certaine confiance dans les activités biologiques des autres États parties. L’Unité d’appui à l’application de la CAB a été créée au sein des Nations Unies en août 2007 pour assurer un soutien administratif en relation avec la CAB, notamment pour recevoir et distribuer les mesures de confiance entre les États parties.

    Actuellement, chaque État partie à la CAB doit compter sur ses propres ressources pour évaluer le respect des dispositions prises par les autres États parties. Néanmoins, le texte de la CAB établit divers mécanismes connexes, en vertu des articles V et VI. L’article V prévoit l’engagement de consultation bilatérale et multilatérale et de coopération à la résolution de tout problème susceptible d’émerger en rapport avec l’objectif ou l’application de la CAB ; l’article VI donne à toute partie qui constate qu’une autre partie agit en violation de ses obligations le droit de déposer une plainte auprès du Conseil de sécurité. Ces deux dispositions du traité donnent aux États parties des mécanismes leur permettant de traiter les violations perçues de la CAB au moyen de la consultation.

    Ainsi, il est évident que si la CAB ne dispose pas d’un système de vérification avancé comme celui de la CAC, elle ne représente pas seulement un instrument politique. Une violation du traité constituerait une infraction au droit international, et les États parties à la CAB se consultent sur les questions liées à la transparence et au respect de la convention pour s’assurer mutuellement du respect de l’instrument. Néanmoins, en raison de la nature à double usage et d’autres caractéristiques compliquées des matières biologiques, la vérification dans le cadre de la CAB s’est avérée difficile. Il est donc important que les États parties continuent à chercher des moyens de renforcer la CAB, afin de s’assurer que le traité n’est pas violé.

    [1] Dans l’article III de la CAB, les États parties s’engagent à ne pas transférer, ou de quelque façon que ce soit, aider, encourager ou inciter quiconque à fabriquer ou acquérir de quelque autre manière des armes biologiques.

    [2] Consulter « BWPP Biological Weapons Reader », chapitre 3.

    [3] Filippa Lentzos, « Compliance and Enforcement in the Biological Weapons Regime » UNIDIR WMD Compliance & Enforcement Series, document quatre, p 7.

    [4] Sonia Drobysz, « Verification and implementation of the Biological and Toxin Weapons Convention », The Nonproliferation Review, 27:4-6, 2020, p 493.

    [5] Bureau des Affaires de désarmement, « Confidence Building Measures », document consulté au lien https://www.un.org/disarmament/biological-weapons/confidence-building-measures.

  • Idée fausse n° 6 : le terme « arme chimique » désigne toute utilisation d’un produit chimique afin de causer des dommages.

    L’idée fausse et ses implications

    Toute utilisation d’un produit chimique dans l’intention de causer des dommages constituerait une « arme chimique » telle que définie par la CAC. Cette idée fausse découle d’une compréhension erronée des définitions des termes « arme chimique » et « produit chimique toxique » selon la CAC. Elle est apparue dans la couverture médiatique de cas où l’utilisation militaire de produits chimiques dangereux a fait des victimes civiles, un exemple notable étant l’utilisation du phosphore blanc et[1] l’utilisation d’agents antiémeutes à des fins de maintien de l’ordre au niveau national.[2]

    Cette idée fausse élargit la définition du terme « arme chimique » au-delà du champ d’application de la CAC. Plusieurs implications en résultent. Tout d’abord, elle peut saper et miner la confiance du public placée dans l’OIAC en cas de perception (erronée) de l’utilisation d’armes chimiques sur laquelle l’OIAC n’enquête pas. En outre, elle peut exercer une pression sur l’OIAC pour qu’elle enquête sur des incidents qui ne relèvent pas de l’utilisation d’armes chimiques, ce qui ne relève pas de sa compétence en vertu de la CAC.

    Une deuxième implication de cette idée fausse est qu’elle obscurcit l’applicabilité d’autres voies du droit international à des incidents qui, bien que n’étant pas des cas d’utilisation d’armes chimiques, constituent néanmoins des crimes au regard du droit international. En se concentrant sur la question de savoir si l’arme utilisée était une arme chimique, plutôt que sur la manière dont l’arme a été utilisée, l’examen adéquat des violations du droit international risque d’être contourné. Entre autres, il pourrait être plus difficile de définir les crimes de guerre et de les poursuivre.[3]

    Écarter l’idée fausse
    Produits chimiques toxiques : l’aspect essentiel de la définition d’une arme chimique selon la CAC par rapport à cette idée fausse se trouve à l’article II, paragraphe 1(a), qui définit les armes chimiques comme « les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs, à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins non interdites par la présente Convention ». Les produits chimiques toxiques sont ensuite définis au paragraphe 2 comme « tout produit chimique qui, par son action chimique sur des processus biologiques, peut provoquer chez les êtres humains ou les animaux la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents ». Il est important de noter que les définitions des « produits chimiques toxiques » et des « armes chimiques » de la CAC sont considérées comme faisant autorité et sont reprises dans d’autres traités internationaux tels que la Convention de 2010 sur la répression d’actes illicites relatifs à l’aviation civile internationale.

    L’OIAC recense certains agents chimiques, notamment les agents vésicants, les gaz asphyxiants, les agents sanguins et les agents neurotoxiques, comme exemples de produits chimiques toxiques qui seraient classés comme armes chimiques en cas d’utilisation à des fins proscrites par la CAC. Comme l’explique une discussion sur le blog Lawfare, « ces armes reposent sur les propriétés toxiques de leurs agents de base lorsqu’ils interagissent avec la physiologie humaine, c’est-à-dire les “processus vitaux” ».[4] D’autres types de produits chimiques, tels que les produits chimiques corrosifs ou inflammables, bien que dangereux pour les humains et les animaux, ne causent pas de dommages de la même manière que les produits chimiques toxiques. En tant que tels, ces produits chimiques ne relèvent pas du champ d’application de la CAC.

    Le commentaire de la CAC détaille ce point en notant que « les armes impliquant des effets chimiques autres que la toxicité ne sont pas couvertes [par la CAC], même en cas d’effets secondaires toxiques lorsque de telles armes sont utilisées. C’est le cas, par exemple, des armes à flamme ou à fumée qui produisent des effets secondaires toxiques, mais qui ne sont pas considérées comme des armes chimiques par la Convention ».[5]

    Phosphore blanc
    Le phosphore blanc est une substance toxique fabriquée à partir de roches phosphatées. Il s’enflamme en cas d’exposition à l’air, produisant une épaisse fumée blanche et atteignant des températures extrêmement élevées, supérieures à 800 degrés Celsius. Il peut être utilisé par les militaires pour masquer les mouvements des forces ou éclairer les cibles militaires[6], ainsi que pour son effet incendiaire. Il a été constaté que le phosphore blanc avait été utilisé pendant le conflit en République arabe syrienne en 2019, entraînant la mort de civils.[7] Cette découverte a suscité des équivoques concernant l’utilisation du phosphore blanc en tant qu’arme chimique et, par conséquent, des appels à l’OIAC pour enquêter. L’utilisation du phosphore blanc est soumise à des restrictions en vertu de divers régimes de droit international, notamment le droit international humanitaire et, dans certaines circonstances, le Protocole III de la Convention sur certaines armes classiques. Il peut provoquer de graves brûlures et des blessures terribles chez l’homme.

    Cependant, le phosphore blanc ne correspond pas à la définition d’une arme chimique, car les dommages qu’il cause ne résultent pas de ses effets en tant que produit chimique toxique sur les processus vitaux, comme décrit ci-dessus. Il ne relèverait pas de la CAC « à moins qu’il ne soit utilisé spécifiquement pour ses effets toxiques, par exemple en brûlant délibérément du phosphore blanc dans un tunnel dans l’espoir de faire suffoquer ses occupants ».[8]

    Dans le cas des allégations d’utilisation de phosphore blanc en République arabe syrienne en 2019, un porte-parole de l’OIAC a été cité par plusieurs médias : il aurait déclaré que l’OIAC « collationnait des informations au siège de l’OIAC concernant l’utilisation présumée d’armes chimiques », mais que l’organisation n’avait« aucune indication à ce jour de l’utilisation d’un produit chimique toxique spécifique comme arme ».[9] L’utilisation du phosphore blanc à des fins militaires, comme expliqué ci-dessus, ne relève pas du champ d’application de la CAC et, à ce titre, l’OIAC aurait été dans l’impossibilité d’enquêter davantage sur l’incident.

    L’OIAC a néanmoins fait l’objet d’un examen international portant sur sa décision de ne pas enquêter sur l’incident et a suscité des spéculations selon lesquelles cette décision était motivée par des considérations politiques. De telles allégations font oublier que l’utilisation du phosphore blanc de cette manière, et les pertes civiles qu’elle a entraînées (notamment des enfants), doivent faire l’objet d’une enquête par les autorités compétentes et peuvent constituer une violation des principes fondamentaux du droit international humanitaire.[10]

    Fins non interdites par la Convention : un autre point à prendre en compte pour répondre à cette idée fausse est que la CAC classe les armes chimiques comme des produits chimiques toxiques qui sont utilisés « à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins non interdites par [la] Convention ». Ces fins sont énumérées à l’article II, paragraphe 9, et comprennent ce qui suit :

    « (c) Des fins militaires sans rapport avec l’emploi d’armes chimiques et qui ne sont pas tributaires de l’emploi, en tant que moyen de guerre ;

    (d) Des fins militaires sans rapport avec l’emploi d’armes chimiques et qui ne sont pas tributaires de l’emploi, en tant que moyen de guerre, des propriétés toxiques de produits chimiques ».

    Dans ces deux cas, il est possible que l’utilisation de produits chimiques puisse causer des dommages à l’homme : par exemple, les agents antiémeutes peuvent « provoquer rapidement chez les êtres humains une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé l’exposition ».[11]

    En fin de compte, la définition du terme « arme chimique » est beaucoup plus restreinte que la simple utilisation d’un produit chimique afin de causer des dommages. Comme résumé dans le Commentaire de la CAC, « la plupart, sinon toutes les armes [utilisent des produits chimiques] : un explosif tel que la dynamite, un incendiaire tel que le napalm, un mélange fumigène, le carburant pour missiles et la poudre à canon sont tous des produits chimiques. Même une arme aussi ancienne qu’une épée est faite de produits chimiques (dans ce cas, il s’agit de fer ou d’alliages de fer) ».[12] Pour garantir le respect du mandat de l’OIAC et du champ d’application de la CAC, et que les crimes internationaux fassent l’objet d’une enquête par les voies appropriées, il est important d’éviter les généralisations excessives de ce qui constitue une arme chimique.

    [1] Consulter,par exemple, Lara Seligman, « Turkish Proxies Appear to be Using White Phosphorus in Syria », Foreign Policy, 17 octobre 2019, document consulté au lien https://foreignpolicy.com/2019/10/17/turkish-proxies-chemical-weapons-syria-kurds/.

    [2] Pour plus d’informations sur les agents antiémeutes, se reporter à l’idée fausse n° 8.

    [3] Matthew J. Aiesi, « The Jus in Bello of White Phosphorus: Getting the Law Correct », Lawfare, 26 novembre 2019, document consulté au lien https://www.lawfareblog.com/jus-bello-white-phosphorus-getting-law-correct.

    [4] Ibid

    [5] « Commentaire CAC », Article II, paragraphe 1.

    [6] Centres for Disease Control and Prevention, « White Phosphorus: Systemic Agent », document consulté au lien https://www.cdc.gov/niosh/ershdb/emergencyresponsecard_29750025.html.

    [7] Bel Trev, « Turkey faces scrutiny over alleged use of white phosphorus on children in northern Syria », the Independent, 19 octobre 2019, consulté au lien https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/syria-turkey-ceasefire-war-crimes-middle-east-a9161586.html.

    [8] Bellingcat Investigation Team, « White Phosphorous Use in Northern Syria – Should The OPCW Investigate? », Bellingcat, 6 novembre 2019, consulté au lien https://www.bellingcat.com/news/mena/2019/11/06/white-phosphorous-use-in-northern-syria-should-the-opcw-investigate/.

    [9] Bel Trev, « Turkey faces scrutiny over alleged use of white phosphorus on children in northern Syria », the Independent, 19 octobre 2019, consulté au lien https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/syria-turkey-ceasefire-war-crimes-middle-east-a9161586.html.

    [10]CICR, « Règle1. Le principe de la distinction entre civils et combattants », Base de données DIH CICR : DIH coutumier, document consulté au lien https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/docs/v1_rul_rule1.

    [11] Article II CAC, paragraphe 7.

    [12] « Commentaire CAC », Article II, paragraphe 1.

  • Idée fausse n° 7 : seuls les produits chimiques figurant sur les tableaux de la CAC peuvent être considérés comme des armes chimiques.

    L’idée fausse et ses implications
    Selon une idée fausse, seuls les produits chimiques toxiques inscrits aux tableaux 1, 2 ou 3 de la CAC peuvent être considérés comme des armes chimiques au sens de la Convention. Cette idée fausse découle sans doute d’une compréhension technique erronée des tableaux de la CAC et du rôle qu’ils jouent dans le régime de la convention.

    Cette idée fausse implique que les produits chimiques toxiques qui ne figurent pas dans les tableaux de la CAC ne sont pas considérés comme des armes chimiques, même en cas d’utilisation à des fins non pacifiques. Si tel est le cas, cela représenterait une grave lacune dans la convention, en particulier à la lumière des progrès de la science et de la technologie qui pourraient conduire à la militarisation de nouveaux produits chimiques toxiques. De plus, les autorités nationales pourraient traiter inadéquatement des produits chimiques toxiques non répertoriés en raison de l’opinion erronée selon laquelle ils ne seraient pas considérés comme des armes chimiques.

    Écarter l’idée fausse
    En vertu du paragraphe 1 de l’article II de la CAC, les armes chimiques sont définies sur la base de leur objectif. Se reporter aux idées fausses n° 8 et n° 9 pour plus d’informations. Cette définition met l’accent sur la finalité de l’utilisation de l’arme chimique, plutôt que sur son origine. Ainsi, elle garantit que l’interdiction pourra résister aux progrès scientifiques et technologiques futurs et à la découverte de nouveaux produits chimiques toxiques. Le commentaire de la CAC note que « selon ce concept, tous les produits chimiques toxiques ou précurseurs sont considérés comme des armes chimiques, sauf s’ils ont été mis au point, fabriqués, stockés ou utilisés à des fins non interdites ». Cette définition doit être lue conjointement avec d’autres termes qui doivent être définis pour mettre en œuvre la convention, tels que « produit chimique toxique », « précurseur » et « fins non interdites par la convention ».

    Tout produit chimique toxique peut être une arme chimique, mais les produits chimiques inscrits aux tableaux de l’annexe sur les produits chimiques de la CAC sont les produits chimiques toxiques qui font l’objet de déclarations par les États parties et de vérifications par l’OIAC. L’inscription des produits chimiques dans les différents tableaux prescrit des mesures de contrôle différentes dans le cadre de la CAC. Par exemple, l’OIAC procède à des inspections sur les sites qui ont produit au cours de l’année civile précédente (ou qui sont censés produire au cours de l’année civile suivante) plus de 200 tonnes au total de tout produit chimique figurant dans le tableau 3 au-delà du seuil de déclaration fixé à 30 tonnes. Cependant, le seuil de la quantité de production entraînant de telles inspections est plus bas pour les produits chimiques du tableau 2.

    Les tableaux de la CAC en un coup d’œil

    • Les produits chimiques du tableau 1 présentent un risque élevé pour l’objet et le but de la CAC et sont peu ou pas utilisés à des fins non interdites par la Convention.
    • Les produits chimiques du tableau 2 présentent un risque significatif pour l’objet et le but de la Convention et ne sont pas fabriqués en grandes quantités commerciales à des fins non interdites par la Convention.
    • Les produits chimiques du tableau 3 présentent un risque pour l’objet et le but de la Convention et peuvent être fabriqués en grandes quantités commerciales à des fins non interdites par la CAC.

    Malgré le cadre de contrôle prévu par le traité, certains produits chimiques toxiques pouvant être utilisés à des fins d’armement chimique sont absents des tableaux de la CAC. Le chlore gazeux est un exemple de produit chimique toxique qui ne figure pas dans les tableaux. L’utilisation généralisée de chlore à Ypres lors de la Première Guerre mondiale est l’une des utilisations d’armes chimiques les plus tristement célèbres de l’histoire et, récemment, le chlore a été utilisé comme arme dans le conflit en République arabe syrienne.[1] Néanmoins, il ne figure pas sur les tableaux de la CAC pour un certain nombre de raisons. Le chlore est largement utilisé dans le monde entier à des fins pacifiques et le simple volume de chlore produit, échangé et utilisé rendrait la vérification et l’inspection extrêmement difficiles sur le plan logistique.[2] Lors des négociations, il était présumé que le chlore ne serait plus utilisé comme arme chimique, en raison de l’absence d’utilisation depuis la Première Guerre mondiale.[3]

    Par ailleurs, il est important de noter que les annexes de la CAC ont récemment été mises à jour pour inclure les agents novichok. Cette modification de l’annexe sur les produits chimiques est intervenue après l’utilisation d’un agent neurotoxique novichok contre la famille Skripal à Salisbury, au Royaume-Uni, et une seconde exposition à Amesbury, au Royaume-Uni, en 2018.[4] À l’époque, les agents novichok ne figuraient pas dans l’annexe sur les produits chimiques, mais cette absence n’est pas pertinente pour déterminer si leur utilisation constitue une utilisation d’arme chimique. L’utilisation de 2018 est toujours considérée comme l’utilisation d’une arme chimique, car les agents novichok sont des produits chimiques toxiques et ont été utilisés pour causer des dommages, répondant ainsi à la définition d’une arme chimique selon la CAC. Les suspects ont été accusés de violations du Chemical Weapons Act,[5] le principal texte législatif du Royaume-Uni mettant en œuvre la CAC au niveau national. Plus tard en 2019, la 24e session de la Conférence des États parties à la CAC a adopté deux décisions[6] visant à modifier l’annexe sur les produits chimiques de la Convention. Comme indiqué ci-dessus, les agents novichok sont désormais soumis à des déclarations nationales et à une vérification de la part de l’OIAC. Notamment, en ce qui concerne un incident impliquant l’utilisation présumée d’une arme chimique contre M. Alexei Navalny en 2020 (se reporter à l’idée fausse n° 16), l’OIAC a déclaré que « les biomarqueurs de l’inhibiteur de la cholinestérase trouvés dans les échantillons de sang et d’urine de M. Navalny ont des caractéristiques structurelles similaires à celles des produits chimiques toxiques appartenant aux tableaux 1.A.14 et 1.A.15, qui ont été ajoutés à l’annexe sur les produits chimiques de la Convention lors de la vingt-quatrième session de la Conférence des États parties en novembre 2019. Cet inhibiteur de la cholinestérase n’est pas inscrit à l’annexe sur les produits chimiques de la Convention ».[7] Que les produits chimiques toxiques utilisés soient ou non inscrits à l’annexe sur les produits chimiques, ils peuvent tout de même être considérés comme des armes chimiques en raison de leur objectif.

    Les exemples du chlore et du novichok démontrent l’importance du critère de finalité générale dans le régime de la CAC. La CAC a été spécifiquement rédigée pour garantir que toute utilisation d’un produit chimique toxique en tant qu’arme est couverte par la définition d’une arme chimique, faisant de l’intention la caractéristique clé. Les États doivent veiller à ce que ce critère soit fidèlement transposé dans la législation nationale, afin de garantir que les armes chimiques sont adéquatement interdites au niveau national. Les tableaux de l’annexe des produits chimiques présentent une liste des substances chimiques qui sont soumises à divers contrôles dans le cadre de la CAC. Si un produit chimique toxique ne figure dans aucun des tableaux, il peut néanmoins être utilisé d’une manière qui correspond à la définition d’une arme chimique au sens de la CAC.

    [1] Par exemple, consulter le rapport de la mission d’établissement des faits de l’OIAC en Syrie concernant un incident présumé à Saraqib (République arabe syrienne) le 4 février 2018 S/1626/2018, 15 mai 2018, paragraphe 7.4 : « du chlore, libéré de cylindres par impact mécanique, a probablement été utilisé comme arme chimique le 4 février 2018 dans le quartier d’Al Talil à Saraqib. »

    [2] Jean-Pascal Zanders, « What is a chemical weapon? When is chlorine a chemical weapon? », The Trench, 18 avril 2018, consulté au lien https://www.the-trench.org/what-is-a-cw.

    [3] Ibid.

    [4] Consulter Thomas Brown, « CWC Annex on Chemicals changed for the first time »”, Trust & Verify No.165, VERTIC, février 2020.

    [5]Crown Prosecution Service, « CPS Statement – Salisbury », 5 septembre 2018, document consulté au lien https://www.cps.gov.uk/cps/news/cps-statement-salisbury.

    [6] OIAC, « Decision: Changes to Schedule 1 of the Annex on Chemicals to the Chemical Weapons Convention », C-24/DEC.5, 27 novembre 2019 ; OIAC, « Decision: Technical Change to Schedule 1(A) of the Annex on Chemicals to the Chemical Weapons Convention », C-24/DEC.4, 27 novembre 2019.

    [7] OIAC, « Note by the Technical Secretariat: Summary of the Report on Activities Carried Out In Support of a Request for Technical Assistance by Germany (Technical Assistance Visit – TAV/01/20) », S/1906/2020, 6 octobre 2020.

  • Idée fausse n° 8 : les agents antiémeutes sont des armes chimiques qui peuvent être utilisées lors de manifestations en temps de paix.

    L’idée fausse et ses implications
    Les agents antiémeutes, tels que les gaz lacrymogènes, seraient des armes chimiques dont la CAC interdit l’utilisation en temps de guerre, mais autorise l’utilisation au niveau national en temps de paix à des fins de maintien de l’ordre.  Cette idée fausse découle d’une mauvaise compréhension de la manière dont les termes « arme chimique », « produit chimique toxique » et « agent antiémeute » sont définis dans la CAC. Elle est encore aggravée par une mauvaise compréhension de la manière dont les diverses dispositions pertinentes de la CAC sont lues ensemble pour interdire l’utilisation d’agents de lutte antiémeute comme méthode de guerre, et plus largement pour interdire l’utilisation d’armes chimiques en toutes circonstances. Les reportages des médias[1] et les débats publics sur les réponses des forces de l’ordre à divers troubles civils ont condamné l’utilisation d’agents de lutte antiémeute en tant qu’arme chimique sans préciser que si la CAC classe les agents de lutte antiémeute parmi les produits chimiques toxiques, elle n’autorise en aucun cas l’utilisation d’armes chimiques.

    À cause de cette idée fausse, les personnes croient à tort que la CAC autorise les États parties à employer des armes chimiques interdites dans les conflits armés internationaux et non internationaux contre leur propre population en temps de paix, légitimant de fait l’utilisation d’armes chimiques dans certaines circonstances. Cette réaction risque à son tour de saper la légitimité de la CAC et de miner le soutien public dont elle bénéficie au sein des États parties. Elle entraîne également une confusion quant à la définition d’une arme chimique, ce qui pourrait finalement conduire les États à définir inadéquatement les armes chimiques dans leur législation nationale et, par conséquent, à ne pas appliquer pleinement la Convention. En outre, le fait de se concentrer sur la classification des agents antiémeute en tant qu’armes chimiques détourne l’attention de l’analyse visant à déterminer si la quantité, la dissémination et la raison de l’utilisation des agents de lutte antiémeute dans les cas en question étaient légales.

    Écarter l’idée fausse
    En vertu du paragraphe 5 de l’article I de la CAC, « Chaque État partie s’engage à ne pas employer d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre ». La CAC définit ensuite les agents de lutte antiémeute, au paragraphe 7 de l’article II, comme « tout produit chimique qui n’est pas inscrit à un tableau et qui peut provoquer rapidement chez les êtres humains une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé l’exposition ».

    La définition d’une arme chimique dans le cadre de la CAC doit également être prise en compte lors de l’examen de la définition des agents de lutte antiémeute. La CAC définit uniquement les produits chimiques toxiques (et leurs précurseurs) en tant qu’armes chimiques selon leur objectif : le terme « critère de destination générale » est employé.[2] L’article II, paragraphe 1, point a), définit les armes chimiques comme « les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs, à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins non interdites par la présente Convention, aussi longtemps que les types et quantités en jeu sont compatibles avec de telles fins ». En conséquence, le paragraphe 9 de l’article II inclut « des fins de maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur » parmi les fins non interdites par la Convention.

    Les agents antiémeutes couramment utilisés, tels que le gaz lacrymogène et le spray au poivre, relèvent de la définition des produits chimiques toxiques selon la CAC, à savoir des produits chimiques qui « par [leur] action chimique sur des processus biologiques, peut provoquer chez les êtres humains ou les animaux la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents ».[3] Il convient de noter que les États parties sont limités aux agents de lutte antiémeute qui ne figurent pas sur les tableaux des produits chimiques inscrits de la CAC, comme indiqué à l’article II, paragraphe 7. En outre, le critère de destination générale ajoute d’autres restrictions à l’utilisation des agents de lutte antiémeute en tant que produits chimiques toxiques : en cas d’utilisation dans des types et des quantités non conformes aux fins non proscrites par la Convention[4], ils relèvent de la définition d’une arme chimique et, sont donc interdits par la CAC.

    Lues ensemble, ces dispositions permettent de conclure que les agents antiémeutes, bien qu’étant des produits chimiques toxiques, ne constituent pas des armes chimiques en cas de non-utilisation comme armes de guerre ou à des fins interdites par la convention. Cette conclusion a été résumée par le Dr Jean-Pascal Zanders, comme suit : « la CAC n’autorise ni ne légitime l’utilisation d’armes chimiques dans des circonstances spécifiques. Elle précise qu’en cas d’utilisation d’un produit chimique uniquement pour réaliser l’un des objectifs non interdits, alors ce produit chimique toxique n’est pas considéré comme une arme chimique. En d’autres termes, un agent de lutte antiémeute déployé à des fins de maîtrise des émeutes nationales n’est pas une arme chimique et cette utilisation ne relève pas du champ d’application de la CAC ».[5]

    L’accent mis sur la question de savoir si l’utilisation d’agents de lutte antiémeute par les forces de l’ordre nationales constitue une utilisation d’armes chimiques peut détourner le débat sur l’application appropriée de la loi conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est penchée à plusieurs reprises sur la question des agents de lutte antiémeute, estimant que certains cas d’utilisation de ces agents contre des manifestants ont violé le droit à la vie[6], preuve d’un traitement cruel et dégradant.[7] L’utilisation abusive de ces agents peut également constituer une violation de certains instruments des droits de l’homme tels que les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois,[8] entre autres. En fin de compte, il est important que les enquêtes sur l’utilisation abusive de ces agents s’effectuent par les voies correctes du droit national et international.

    [1] Consulter par exemple : Shireen Daft, « Tear gas and pepper spray are chemical weapons. So, why can police use them? », The Conversation, 11 juin 2020, document consulté au lien https://theconversation.com/tear-gas-and-pepper-spray-are-chemical-weapons-so-why-can-police-use-them-140364.

    [2] OIAC, « Qu’est-ce qu’une arme chimique ? », document consulté au lien

    https://www.opcw.org/our-work/what-chemical-weapon#:~:text=General%20Purpose%20Criterion%20%E2%80%93%20Intent&text=Any%20chemical%20intended%20for%20chemical,’chemical%20weapons%20purposes’%20are.

    [3] Article II CAC, paragraphe 2

    [4] CAC Article II, paragraphe 1

    [5] Jean-Pascal Zanders, « Tear-gas’: authorised at home, banned in war? Not so for the USA », The Trench, 13 juin 2020, document consulté au lien https://www.the-trench.org/tear-gas-usa.

    [6] Consulter CEDH, Abdullah Yasa v. Turkey, 16 juillet 2013. Voir également, Lam Sze Hong, « Is there any limitation on the use of tear gas as a Riot Control Agent? », Leiden Law Blog, 2 avril 2020, document consulté au lien https://www.leidenlawblog.nl/articles/is-there-any-limitation-on-the-use-of-tear-gas-as-a-riot-control-agent.

    [7] CEDH, Ali Güneş V. Turkey, jugement du 10 avril 2012.

    [8] Consulter les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, La Havane, Cuba, du 27 août au 7 septembre 1990, document consulté au lien https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/basic-principles-use-force-and-firearms-law-enforcement.

  • Idée fausse n° 9 : la Convention sur les armes chimiques s’intéresse uniquement aux effets sur les humains.

    L’idée fausse et ses implications
    La CAC couvrirait uniquement les utilisations de produits chimiques sur les humains. Cette idée fausse, comme d’autres, découle d’une mauvaise interprétation des termes « arme chimique » et « produit chimique toxique » tels que définis dans la CAC. L’interprétation courante d’une arme chimique fait référence à l’utilisation militaire de produits chimiques toxiques sur le champ de bataille contre des êtres humains, alors que le champ d’application de la CAC est plus vaste.

    Cette idée fausse peut entraîner de graves conséquences sur l’utilisation faite par les États parties à la CAC des produits chimiques toxiques. Le concept d’arme chimique et le champ d’application des substances et des actions qu’il couvre sont au cœur même de la CAC, et les idées fausses sur les objectifs de la Convention pourraient mener à des violations involontaires. Les idées fausses sur la définition du terme « arme chimique » peuvent conduire à une compréhension erronée de l’utilisation des produits chimiques toxiques et du rôle de l’OIAC dans la réponse aux incidents (comme le montre l’idée fausse n° 6), entraînant des contestations de l’autorité de l’Organisation. En outre, si les États ne définissent pas correctement les armes chimiques dans leur législation nationale, les instruments juridiques mettant en œuvre la CAC risquent de ne pas transposer pleinement la Convention. Dans l’ensemble, les incompréhensions concernant la nature des produits chimiques toxiques et des armes chimiques peuvent entraver la mise en œuvre de la CAC au niveau national.

    Écarter l’idée fausse
    Comme indiqué ci-dessus au paragraphe 1 de l’article II de la Convention, les produits chimiques toxiques[1] sont considérés comme des armes chimiques sur la base de leur objectif (le critère de destination générale), de la même manière que les agents biologiques et les toxines[2] dans le cadre de la CAB. Le paragraphe 2 de l’article II de la Convention sur les armes chimiques définit un produit chimique toxique comme « tout produit chimique qui, par son action chimique sur les processus vitaux, peut provoquer la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents chez les êtres humains ou les animaux ». En tant que tels, les produits chimiques toxiques causant des dommages aux animaux sont visés par la Convention. Toutefois, il convient de noter que les produits chimiques qui, par leur action chimique sur les processus vitaux, sont susceptibles de nuire aux plantes ne sont pas inclus.[3] Cette position diffère de celle de la CAB, où les conférences d’examen ont déclaré que les armes biologiques affectant les plantes sont interdites par la Convention.[4] Le commentaire de la CAC considère que l’exclusion des produits chimiques toxiques utilisés dans l’intention de détruire les plantes est le résultat de considérations politiques dues à l’utilisation antérieure d’herbicides en temps de guerre (et à l’idée qu’il existe des utilisations civiles et militaires légitimes de ces produits chimiques), de problèmes de vérification et de l’importante industrie des herbicides dans certains États.[5]

    En ce qui concerne l’utilisation de produits chimiques qui affectent les processus vitaux des plantes, il est important de noter l’existence de la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (ENMOD). Les États parties à ce traité acceptent de ne pas s’engager dans l’utilisation militaire ou toute autre utilisation hostile de techniques de modification de l’environnement entraînant des effets étendus, durables ou graves comme moyen de destruction, de dommage ou de blessure à un autre État partie en vertu de l’article I(1). Le terme « techniques de modification de l’environnement » est défini en vertu de l’article II. Selon le document final de la deuxième Conférence d’examen concernant la convention ENMOD :

    « La Conférence confirme que l’utilisation militaire ou toute autre utilisation hostile d’herbicides en tant que technique de modification de l’environnement au sens de l’article II constitue une méthode de guerre interdite par l’article I si cette utilisation d’herbicides bouleverse l’équilibre écologique d’une région, entraînant ainsi des effets étendus, durables ou graves en tant que moyen de destruction, de dommage ou de blessure à tout autre État partie ».[6]

    Ainsi, dans certaines circonstances, l’utilisation de produits chimiques qui, en raison de leur action chimique sur les processus vitaux, causent des dommages aux plantes, est interdite aux États parties à la convention ENMOD en vertu du droit international.

    En résumé, l’examen du texte de la CAC et des commentaires connexes démontre que la CAC traite non seulement des effets sur les humains, mais également des animaux. Toutefois, il convient de noter que les effets sur les plantes ne sont pas couverts, contrairement à la position de la CAB. Des considérations politiques semblent avoir écarté du texte de la Convention les produits chimiques toxiques utilisés dans l’intention de détruire les plantes, mais le préambule de la CAC reconnaît « l’interdiction de l’emploi d’herbicides en tant que moyens de guerre, telle que la traduisent les accords pertinents et les principes du droit international en la matière ». Comprendre la définition du terme « produit chimique toxique » est essentiel pour mettre en œuvre la CAC au niveau national. Les idées fausses précédentes décrivent fidèlement les limites de la définition comprise du terme « arme chimique » et les implications de ces idées fausses concernant l’utilisation des armes chimiques. Il est donc essentiel que les parties prenantes, telles que les législateurs, les décideurs politiques et les agents chargés de l’application de la loi, comprennent les définitions des termes « produit chimique toxique » et « arme chimique » dans le régime de la CAC, en vue de l’application appropriée du traité.

    [1] Consulter l’article II, paragraphe 1, de la CAC, en vertu duquel, séparément ou ensemble, les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs, ainsi que les munitions et dispositifs spécifiquement conçus pour provoquer la mort ou d’autres dommages en raison des propriétés toxiques de ces produits chimiques toxiques, et tout équipement conçu pour être utilisé en liaison directe avec l’emploi de ces munitions et dispositifs, sont considérés comme des armes chimiques.

    [2] Se reporter à l’article 1, notamment « des armes, de l’équipement ou des vecteurs destinés à l’emploi de tels agents ou toxines à des fins hostiles ou dans des conflits armés ».

    [3] « Commentaire CAC », Article II.

    [4] Voir le Document final de la huitième Conférence d’examen, article I, 1.

    [5] « Commentaire CAC », Article II.

    [6]Deuxième Conférence d’examen des Parties à la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, ENMOD/CONF.11/12, p 11-12.

  • Idée fausse n° 10 : l’OIAC est un organe de l’ONU.

    L’idée fausse et ses implications
    Les médias ont parfois appelé l’OIAC « l’organe des Nations Unies chargé des armes chimiques » ou « l’Organisation des Nations Unies pour l’interdiction des armes chimiques ».[1] L’OIAC interagit effectivement avec un certain nombre de parties prenantes, notamment des entités de l’ONU telles que le Secrétaire général et le Conseil de sécurité de l’ONU. Toutefois, l’existence de l’OIAC est distincte de celle de l’ONU, qui est une autre organisation intergouvernementale. Les malentendus sur la nature de l’OIAC peuvent créer une certaine confusion sur le statut respectif, les rôles et les relations entre l’organisation et d’autres organisations, comme l’ONU.

    Le statut de l’OIAC, comme celui de toute organisation internationale, a des implications sur ses fonctions, ses pouvoirs et ses processus. Se référer à l’OIAC comme à une entité de l’ONU peut donner l’impression qu’elle possède les mêmes attributs juridiques que ceux de l’ONU, et qu’elle partage les mêmes forces et limites. Ce rapprochement peut donc conduire à une analyse erronée des succès et des échecs de l’OIAC, ainsi qu’à des suggestions inappropriées pour soutenir, étendre ou limiter ses activités.

    Écarter l’idée fausse
    L’OIAC est une organisation intergouvernementale dont la convention fondatrice est la CAC. Comme indiqué ci-dessus, l’existence de l’OIAC est distincte de celle de l’ONU, qui est une autre organisation. Cela dit, l’OIAC est considérée comme faisant partie du système des Nations Unies en tant qu’« organisation associée »[2], et le Secrétaire général des Nations Unies est le dépositaire de la CAC (concernant le rôle des dépositaires, se reporter à l’idée fausse n° 19).

    Selon l’article VIII(A)(1) de la Convention, les États parties ont fondé l’OIAC pour réaliser l’objet et le but de la Convention, pour assurer la mise en œuvre de ses dispositions, notamment celles relatives à la vérification internationale du respect de la convention, et pour servir de plate-forme de consultation et de coopération entre les États parties. Tous les États qui sont parties à la CAC sont membres de l’OIAC. Le siège de l’OIAC se trouve dans la ville de La Haye, aux Pays-Bas. La CAC établit les organes de l’OIAC, à savoir la Conférence des États parties, le Conseil exécutif et le Secrétariat technique (notamment son chef, le directeur général), et détaille leurs fonctions, ainsi que leurs pouvoirs. Ces organes sont distincts de ceux des Nations Unies, par exemple le Secrétaire général de l’ONU, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité.

    Ces derniers sont toutefois impliqués dans l’application de la CAC. Un accord distinct a donc été approuvé en 2001 par les deux organisations pour détailler les modalités de leur coopération.[3] Selon cet accord, les Nations Unies reconnaissent que l’OIAC doit fonctionner en tant qu’organisation internationale indépendante et autonome. Un aspect important de la coopération entre les Nations Unies et l’OIAC concerne les cas présumés ou confirmés de non-respect de la convention et d’utilisation d’armes chimiques. Le Conseil exécutif et la Conférence des États parties de l’OIAC sont tenus de porter les questions de non-conformité dans les cas particulièrement graves et urgents à l’attention de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations Unies, par l’intermédiaire du Secrétaire général des Nations Unies.[4] En cas d’allégation d’utilisation d’armes chimiques impliquant un État non-partie à la Convention ou sur un territoire non contrôlé par un État partie à la Convention, l’OIAC est tenue de coopérer étroitement avec le Secrétaire général des Nations Unies.[5]

    Les deux organisations doivent également étudier les possibilités de coopération pour la fourniture d’une assistance aux États concernés en cas d’utilisation ou de menace grave d’utilisation d’armes chimiques.[6] L’ONU agira selon ses propres processus en vertu de la Charte des Nations Unies, le traité fondateur de l’ONU. Par exemple, le Secrétaire général des Nations Unies doit coopérer avec l’OIAC dans ses enquêtes sur l’utilisation présumée d’armes chimiques dans des États non-parties, conformément aux lignes directrices et procédures du mécanisme d’enquête du Secrétaire général des Nations Unies sur l’utilisation présumée d’armes chimiques et biologiques.[7] Le Conseil de sécurité des Nations Unies peut décider de prendre des mesures en vertu du chapitre VII de la Charte concernant les actions relatives aux menaces contre la paix, aux ruptures de la paix et aux actes d’agression.

    [1] Voir par exemple, « UN chemical weapons body slam Syrian regime for lack of cooperation », The New Arab, 1er octobre 2022, document consulté au lien https://english.alaraby.co.uk/news/un-chemical-weapons-body-slam-syria-lack-cooperation.

    [2] Voir Nations Unies, « Système des Nations Unies », document consulté au lien https://www.un.org/en/about-us/un-system.

    [3] Un accord concernant les relations entre les Nations Unies et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a été rédigé en 2000 (« accord de relation ») ; il a été approuvé par la Conférence des États parties de l’OIAC dans la décision C-VI/DEC.5 du 17 mai 2001 et par l’Assemblée générale des Nations Unies dans la résolution A/RES/55/283 du 24 septembre 2001.

    [4] Voir l’article VIII.C. de la Convention. 36 concernant le Conseil exécutif et l’article XII. 4 concernant la Conférence des États parties ; et l’article II.2, a) et b) de l’accord de relation.

    [5] Voir le paragraphe 27 de la Convention, partie XI de l’annexe de vérification et l’article II.2, c) de l’accord de relation.

    [6] Voir l’article X, paragraphe 10, de la Convention et l’article II, paragraphe 2, point d), de l’accord de relation.

    [7] Pour plus d’informations sur l’UNSGM, voir “United Nations, Secretary-General’s Mechanism for Investigation of Alleged Use of Chemical and Biological Weapons (UNSGM)”, consulté au lien https://www.un.org/disarmament/wmd/secretary-general-mechanism/.

  • Idée fausse n° 11 : le fentanyl et d’autres opioïdes équivalents très puissants sont toujours considérés comme des armes chimiques.

    L’idée fausse et ses implications
    Cette idée fausse fait souvent référence à la fois à son utilisation en tant que narcotique, qui est liée à un risque accru d’overdose, et à son utilisation mortelle sous forme d’aérosol. Cette idée fausse a de multiples origines. Tout d’abord, le fentanyl et ses analogues font partie d’une catégorie plus générale de produits chimiques agissant sur le système nerveux central (SNC) et ayant des effets toxiques sur l’homme. L’utilisation du fentanyl comme stupéfiant s’est généralisée et est liée à un nombre élevé d’overdoses et de décès, ce qui a suscité un débat sur la question de savoir si les pays devaient le classer comme une arme de destruction massive.[1] Deuxièmement, un mélange contenant au moins deux dérivés du fentanyl a été libéré lors de la crise meurtrière des otages du théâtre Dubrovka de Moscou en 2002, des faits qui ont été liés à des arguments sur l’utilisation du fentanyl comme narcotique constituant une arme chimique.

    L’implication selon laquelle le fentanyl et les produits chimiques analogues seraient des armes chimiques suscite la confusion et la peur entourant l’utilisation de ces produits chimiques dans des contextes qui sont pacifiques et légitimes en vertu de la CAC, par exemple leur utilisation médicale pour soulager la douleur.

    Écarter l’idée fausse
    Cette idée fausse peut être abordée en deux parties : premièrement, en ce qui concerne l’utilisation du fentanyl en tant que narcotique et l’utilisation du fentanyl et de ses analogues dans des contextes pharmaceutiques. Ensuite, il est nécessaire d’aborder l’utilisation de produits chimiques agissant sur le SNC sous forme d’aérosols et les mesures prises par les États parties à la CAC pour interdire leur utilisation à des fins de répression.

    Usage narcotique et pharmaceutique des opioïdes: les opioïdes de la famille du fentanyl comptent parmi les analgésiques connus les plus puissants.[2] Le fentanyl est nettement plus puissant que l’héroïne ou la morphine et a été associé à une augmentation des taux de surdose et de décès.[3] Toutefois, comme la morphine, il a une utilité médicale importante en tant qu’anesthésique et analgésique. Comme le souligne une étude réalisée en 2019 par le Center for the Study of Weapons of Mass Destruction, « les produits pharmaceutiques à base de fentanyl comprennent des pastilles, des sucettes, des comprimés, des sprays, des patchs transdermiques et des formulations injectables »[4], et le Conseil consultatif scientifique (CCS) de l’OIAC a noté que le fentanyl et ses analogues « sont considérés comme sûrs lorsqu’ils sont utilisés dans des conditions médicales contrôlées ».[5]

    Le fentanyl et les produits chimiques analogues agissent en déprimant les fonctions du SNC dans l’organisme et sont classés comme produits chimiques toxiques en vertu de la CAC, qui définit les produits chimiques toxiques au paragraphe 2 de l’article II comme « tout produit chimique qui, par son action chimique sur les processus vitaux, peut provoquer la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents chez les êtres humains ou les animaux ». Toutefois, à moins qu’un produit chimique toxique ne soit utilisé à des fins interdites par la convention (article II, paragraphe 1, point a), de la CAC), il ne s’agit pas d’une arme chimique. La CAC emploie une définition négative de ces fins, soulignant les fins qui ne sont pas interdites en vertu de l’article II, paragraphe 9, qui inclut « les fins industrielles, agricoles, de recherche, des fins médicales, pharmaceutiques ou d’autres fins pacifiques ».

    Produits chimiques agissant sur le SNC en aérosol : le fentanyl et ses analogues ont un passé de développement et d’utilisation militaires comme agents incapacitants.[6] La prise d’otages du théâtre Dubrovka à Moscou en 2002 est un exemple d’utilisation de ces produits chimiques à des fins répressives.

    En décembre 2021, lors de la 26e Conférence des États parties à la CAC, la Conférence a adopté une décision intitulée « Accord relatif à l’utilisation en aérosol de produits chimiques agissant sur le système nerveux central à des fins de maintien de l’ordre ».[7] Il a été décidé que « l’utilisation en aérosol de produits chimiques agissant sur le SNC est comprise comme étant incompatible avec les objectifs de maintien de l’ordre en tant que “fin non interdite” par la Convention ».

    Alors que le « maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur » est une autre fin listée comme non interdite par la Convention (en vertu de l’article II, paragraphe 9), le Conseil scientifique consultatif de l’OIAC a précisé que les produits chimiques agissant sur le SNC ne correspondent pas à la définition des « agents de lutte antiémeute » figurant à l’article II, paragraphe 7 : « tout produit chimique qui n’est pas inscrit à un tableau et qui peut provoquer rapidement chez les êtres humains une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé l’exposition ». Dans le rapport du Conseil scientifique consultatif de l’OIAC en vue de la 4e Conférence des États parties en 2018, le Conseil a distingué les produits chimiques agissant sur le SNC des agents antiémeutes, notant que « les produits chimiques agissant sur le SNC diffèrent des agents antiémeutes, car ils agissent principalement sur le système nerveux central et leurs effets ne se limitent généralement pas à une irritation sensorielle de nature temporaire »[8]. Ils ont « une marge de sécurité très faible lorsqu’ils sont administrés sous forme d’aérosol »[9] et « ne répondent pas aux critères spécifiés à l’article II, paragraphe 7 ».

    Dans l’ensemble, la décision de la 26e Conférence des États parties a précisé que l’utilisation de produits chimiques agissant sur le SNC sous forme d’aérosol à des fins répressives est interdite par la CAC. Toutefois, la décision ne traite pas de l’utilisation de produits chimiques agissant sur le SNC à d’autres fins qui ne sont pas interdites par la Convention. En définitive, si l’utilisation de produits chimiques agissant sur le SNC sous forme d’aérosol à des fins de maintien de l’ordre équivaut à l’utilisation d’armes chimiques, ces produits ne sont pas classés comme armes chimiques s’ils sont utilisés à d’autres fins non interdites, pour autant que les types et les quantités soient compatibles avec ces fins. Il est important de garder à l’esprit que ces produits chimiques sont à double usage par nature et impliquent d’importantes utilisations pacifiques.

    [1] Voir, par exemple, Office of Attorney General Ashley Moody, « Attorney General Moody Urges President Biden to Classify Illicit Fentanyl a Weapon of Mass Destruction », 18 juillet 2022, consulté au lien

    http://www.myfloridalegal.com/newsrel.nsf/newsreleases/63B8F1A56E1BE00A85258883006CE82C.

    [2] Robert J. Mathews, « Central Nervous System-acting chemicals and the Chemical Weapons Convention: A former Scientific Adviser’s perspective », Pure and Applied Chemistry, vol. 90, n° 10, 2018, p 1559.

    [3] John P. Caves Jr., « Fentanyl as a Chemical Weapon », Centre for the Study of Weapons of Mass Destruction : Proceedings, décembre 2019, consulté au lieu : https://wmdcenter.ndu.edu/Portals/97/CSWMD%20Proceedings%20Dec%202019.pdf.

    [4] Ibid

    [5] OIAC, « Report of the Scientific Advisory Board on Developments in Science and Technology for The Fourth Special Session of the Conference of the States Parties to Review the operation of the Chemical Weapons Convention », RC-4/DG.1, 30 avril 2018.

    [6] John P. Caves Jr., « Fentanyl as a Chemical Weapon », Centre for the Study of Weapons of Mass Destruction : Proceedings, décembre 2019, consulté au lieu : https://wmdcenter.ndu.edu/Portals/97/CSWMD%20Proceedings%20Dec%202019.pdf.

    [7] Decision: Understanding Regarding the Aerosolised Use of Central Nervous System-Acting Chemicals for Law Enforcement Purposes, 1er décembre 2021, C-26/DEC.10.

    [8] Actualités OIAC, « Decision on aerosolised use of Central Nervous System-acting chemicals adopted by OPCW Conference of States Parties », 1er décembre 2021, consulté au lien https://www.opcw.org/media-centre/news/2021/12/decision-aerosolised-use-central-nervous-system-acting-chemicals-adopted.

    [9] « Report of the Scientific Advisory Board on Developments in Science and Technology for The Fourth Special Session of the Conference of the States Parties to Review the operation of the Chemical Weapons Convention », 20 avril 2018, RC-4/DG.1.

  • Idée fausse n° 12 : les attaques contre des installations chimiques industrielles ne sont pas pertinentes dans le cadre du régime de la CAC et relèvent uniquement du droit humanitaire international.

    L’idée fausse et ses implications

    Les attaques contre des installations chimiques ne correspondent pas à la définition de l’utilisation d’armes chimiques, même lorsqu’elles entraînent des dommages pour les humains ou les animaux en raison des produits chimiques toxiques libérés.

    Cette idée fausse peut provenir d’une perception étroite des armes chimiques : elles auraient été fabriquées ou conçues spécifiquement pour une utilisation comme armes chimiques. Le rejet de produits chimiques toxiques peut être perçu comme un effet secondaire d’une attaque contre une installation chimique. En outre, les attaques contre des installations chimiques, en particulier les attaques militaires en temps de guerre, sont régies par le droit humanitaire international. Les personnes peuvent croire, à tort, que ces attaques relèvent uniquement du droit humanitaire.

    Bien que les circonstances dans lesquelles une attaque contre une installation chimique équivaudrait à une utilisation d’armes chimiques soient particulières, l’exclusion de la CAC de l’analyse et de l’enquête sur de telles attaques réduit au silence une voix potentielle pour veiller à la responsabilité et la protection concernant l’utilisation de produits chimiques toxiques à cette fin. En outre, avec plus de 99 % des stocks mondiaux d’armes chimiques détruits dans le cadre de la vérification d’OIAC, la capacité de guerre chimique des États peut ne plus exister, au sens traditionnel du terme.

    Écarter l’idée fausse
    Aux termes de l’article II, paragraphe 1, point a) de la CAC, les armes chimiques sont définies comme « les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs, à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins non interdites par la présente Convention ». Les produits chimiques toxiques utilisés dans l’intention de tuer ou de blesser des êtres humains ou des animaux sont donc des armes chimiques.

    La question de déterminer si les attaques contre des installations chimiques industrielles relèvent de la CAC a été soulevée à la suite des récentes attaques contre des installations chimiques en Ukraine. L’OIAC a pris acte des rapports des médias faisant état de « tirs d’obus visant des usines chimiques situées en Ukraine », notamment l’usine chimique Sumykhimprom le 21 mars 2022, qui a obligé les habitants d’une ville voisine à se mettre à l’abri d’une fuite d’ammoniac.[1]

    Dans le cas de l’attaque de l’usine chimique de Sumykhimprom, le rejet d’ammoniac n’a pas causé de dommages étendus ou graves aux humains, car les propriétés chimiques de l’ammoniac n’en font pas un agent de guerre chimique efficace. Toutefois, le niveau de toxicité d’un produit chimique n’est pas pertinent pour sa classification en tant qu’arme chimique.[2] Comme indiqué dans le commentaire de la CAC, « la toxicité (et non la létalité) est une condition préalable à la qualification d’un produit chimique… en tant qu’arme chimique ».[3] En tant que telle, l’inclusion des produits chimiques libérés lors d’attaques contre des installations chimiques qui n’étaient pas hautement toxiques ou qui n’ont pas causé de pertes massives, si l’attaque était néanmoins menée avec l’intention d’exploiter les qualités toxiques de ce produit chimique pour causer des dommages, relèverait de la CAC.[4]

    Applicabilité du droit internationalD’autres domaines du droit international peuvent également s’avérer pertinents dans le cas des attaques militaires contre des installations chimiques en temps de guerre, mais cela n’exclut pas l’applicabilité de la CAC dans des circonstances spécifiques. Dans certains cas, l’applicabilité de la CAC peut contribuer à combler les lacunes du droit international. Par exemple, si l’article 56 du Protocole additionnel I (PA I) aux Conventions de Genève interdit les attaques contre les « ouvrages ou installations contenant des forces dangereuses », cette interdiction peut être limitée aux « barrages, digues et centrales nucléaires de production d’énergie électrique » et ne couvre donc pas les installations chimiques.

    Une interdiction similaire peut également exister en vertu du droit international coutumier, une source de droit international indépendante du droit des traités, qui lie uniquement les États ayant exprimé leur consentement à se conformer à certains traités. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) définit le droit international coutumier comme les « règles qui découlent d’une “pratique générale acceptée comme étant le droit” », contraignantes pour tous les États. Comme souligné par le CICR, le droit international coutumier joue un rôle essentiel dans les conflits armés, car « il comble certaines lacunes du droit, renforçant ainsi la protection dont bénéficient les victimes ».[1]

    En ce qui concerne les attaques contre les installations chimiques, le CICR a identifié une règle du droit international coutumier selon laquelle les États doivent prendre « un soin particulier » si des ouvrages ou des installations contenant des forces dangereuses sont la cible d’attaques. Le CICR a suggéré, dans son commentaire sur cette règle, qu’un soin similaire doit être apporté aux installations telles que les usines chimiques.[2]

    [1] CICR, « Droit coutumier », consulté au lien https://www.icrc.org/fr/guerre-et-droit/traites-et-droit-coutumier/droit-coutumier.

    [2] Base de données DIH CICR, « Règle 42 Les ouvrages et installations contenant des forces dangereuses », consultée au lien https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/docs/v1_cha_chapter13_rule42.

     

    [1]Voir Suzanna Khoshabi, « Security of nuclear and chemical facilities in Ukraine: applicability of international law », VERTIC Trust and Verify 170, Été 2022, p 6, document consulté au lien https://www.vertic.org/wp-content/uploads/2022/06/TV170-REV1-WEB-2.pdf#page=6 .

    [2] Jean-Pascal Zanders, « Prelude to chemical weapons use? », The Trench, 12 avril 2022, consulté au lien https://www.the-trench.org/prelude-to-chemical-weapons-use.

    [3] « Commentaire CAC », Article II, paragraphe 1, p 25.

    [4] Jean-Pascal Zanders, « Prelude to chemical weapons use? », The Trench, 12 avril 2022, consulté au lien https://www.the-trench.org/prelude-to-chemical-weapons-use.

  • Idée fausse n° 13 : les États qui ne possèdent pas d’armes biologiques ou chimiques n’ont pas besoin d’adhérer à la CAB et à la CAC.

    L’idée fausse et ses implications
    Une simple idée fausse, mais qui peut avoir un impact important sur l’universalisation et la mise en œuvre intégrale de la CAB et de la CAC, est que les États ne possédant pas d’armes biologiques ou chimiques n’ont pas besoin d’adhérer à ces conventions. Cette dernière serait seulement pertinente pour les États disposés à renoncer aux armes biologiques ou chimiques existantes. La CAB et la CAC commencent par l’interdiction des armes biologiques et chimiques respectivement, puis exigent la destruction des stocks existants de ces armes par les États parties. D’aucuns pourraient ainsi s’interroger sur la pertinence de ces obligations pour les États ne possédant pas d’armes biologiques ou chimiques, et supposer rapidement que ces États ne seraient pas concernés du tout par ces conventions.

    En outre, ces conventions font généralement la une des journaux lors de cas suspectés ou confirmés de mise au point, de possession ou d’utilisation d’armes. L’adhésion de la République arabe syrienne à la CAC en 2013, après avoir confirmé en 2012 qu’elle possédait des armes chimiques, a été largement médiatisée, tout comme les décisions et processus visant à vérifier leur destruction et à enquêter sur leur utilisation. L’élimination des armes chimiques et biologiques de l’Irak sous supervision internationale a également été largement couverte par l’actualité, suite à l’adoption, le 3 avril 1991, de la résolution 687 du Conseil de sécurité des Nations Unies invitant l’Irak à ratifier la CAB, ce qui a eu lieu le 19 juin 1991.

    Cette idée fausse peut inciter les États qui ne possèdent pas d’armes biologiques et chimiques à ne pas adhérer aux conventions ou à ne pas en faire une priorité, ce qui entrave les efforts d’universalisation et affaiblit finalement le soutien à la norme contre ces armes. Pour les États qui ont adhéré aux conventions, mais ne pensent pas qu’elles les concernent réellement, cette idée fausse peut entraîner un manque de progrès dans la mise en œuvre, ou une mise en œuvre incomplète avec des lacunes dans les lois nationales visant à interdire et à prévenir les armes biologiques et chimiques. Penser que la CAB et la CAC ne concernent que les États qui possèdent ou ont possédé ces armes peut également avoir pour conséquence de concentrer l’attention sur les activités de ces États, tout en minimisant les efforts des États qui ne les possèdent pas pour respecter leurs obligations en vertu des conventions.

    Écarter l’idée fausse
    La CAB et la CAC concernent tous les États. Les États qui ont possédé des armes biologiques ou chimiques s’engagent à les détruire et à ne jamais les mettre au point, les fabriquer, les stocker, les acquérir, les conserver, les transférer et les utiliser à l’avenir, tandis que les États qui n’ont jamais détenu ces armes prennent l’engagement permanent d’y renoncer. La norme contre les armes biologiques et chimiques peut exister seulement si les deux catégories d’États la soutiennent. En outre, les Conventions contribuent à prévenir tout armement ou réarmement futur en matière d’armes biologiques et chimiques. Comme indiqué dans l’idée fausse n° 4, les armes biologiques (les armes chimiques, également) ne sont pas un « vestige du passé ». En raison de l’évolution des sciences et des technologies et des nouvelles menaces émanant de différents acteurs, la CAB et la CAC demeureront pertinentes pour tous les États à l’avenir.

    En outre, les conventions ne se limitent pas à des interdictions. Elles encouragent également, notamment par l’échange de matériel et d’équipement, les activités pacifiques impliquant des produits chimiques toxiques, des agents biologiques et des toxines, menées de manière sûre et sécurisée afin d’éviter leur utilisation abusive. Elles prévoient en outre, à des degrés divers, des mécanismes de coopération, d’enquête et d’assistance en cas de violation potentielle ou confirmée. Le statut d’État partie s’accompagne donc non seulement d’obligations, mais aussi de droits et d’avantages qui présentent un intérêt pour tous les États. L’accès aux mécanismes, aux initiatives, aux activités et à l’expertise développés dans le cadre de la CAB et de la CAC peut présenter un certain nombre d’avantages pour les États parties. La mise en œuvre complète et efficace des conventions au moyen de mesures nationales appropriées peut contribuer à renforcer la sécurité nationale, la santé publique, la santé animale et végétale au niveau national. Elle contribue également à prévenir la prolifération des armes biologiques et chimiques par des acteurs non étatiques, comme évoqué dans l’idée fausse n° 21.

    Statut de la CAB, en novembre 2022
    184 États parties
    4 États signataires : Égypte, Haïti, Somalie, République arabe syrienne
    9 États non signataires : Tchad, Comores, Djibouti, Érythrée, Israël, Kiribati, États fédérés de Micronésie, Sud-Soudan, Tuvalu.

     

    Statut de la CAC, en novembre 2022
    193 États parties
    1 État signataire : Israël

  • Idée fausse n° 14 : le Protocole de Genève de 1925 n’est plus pertinent en raison de l’adoption de la CAB et de la CAC.

    L’idée fausse et ses implications
    Certains États qui ont adhéré à la CAB ou à la CAC, ou aux deux, mais qui n’ont pas encore adhéré au Protocole de Genève de 1925, remettent en question l’importance d’adhérer au Protocole en raison de l’adoption de la CAB et de la CAC. En raison de cette idée, les États considèrent que le Protocole de Genève de 1925 ne les concerne pas, surtout s’ils ont déjà adhéré à la CAB ou à la CAC, ou aux deux, et décident donc de ne pas y adhérer.

    Écarter l’idée fausse :
    Cette section renvoie à l’idée fausse n° 1 sur l’interdiction de l’utilisation d’armes biologiques dans la CAB. En vertu du Protocole de Genève de 1925, les Hautes Parties contractantes s’engagent à ne jamais utiliser de gaz bactériologiques ou asphyxiants, toxiques ou autres, ni de matières ou dispositifs liquides analogues comme méthode de guerre. Cependant, un certain nombre d’États ont émis des réserves lors de leur adhésion au Protocole,[1] déclarant par exemple qu’ils n’étaient liés que par rapport aux autres États ayant ratifié le Protocole et qu’ils ne seraient pas liés envers les États qui violent le Protocole, en utilisant pour la première fois des armes biologiques ou chimiques. Ainsi, dans la pratique, le Protocole prévoyait une interdiction de l’utilisation en premier d’armes biologiques et chimiques entre les États parties. En 1969, la résolution 2603 (XXIV) de l’Assemblée générale des Nations Unies a réaffirmé que les interdictions prévues par le Protocole constituent des règles de droit international généralement reconnues. Dans l’ensemble, l’interdiction du premier emploi, et sans doute l’interdiction de l’emploi,[2] peuvent être considérées comme relevant du droit international coutumier et, en tant que telles, comme contraignantes pour tous les États.

    Comme vu ci-dessus, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies et les documents finaux des conférences d’examen de la CAB soulignent tous les liens entre la CAB et le Protocole de Genève. Le document final de la 7e Conférence d’examen reconnaît que :

    « …le Protocole de Genève de 1925… et la Convention se complètent. La Conférence réaffirme qu’aucune disposition Convention ne doit être interprétée comme limitant ou diminuant de quelque manière que ce soit les obligations assumées par tout État en vertu du Protocole de Genève de 1925 ».[3]

    Cela démontre la pertinence continue du Protocole de Genève et de la synergie entre les deux traités, qui se renforcent mutuellement. De même, le préambule de la CAC fait expressément référence au Protocole de Genève à trois reprises. En outre, en vertu de l’article XIII de la CAC, aucune disposition du traité « ne sera interprétée comme restreignant ou amenuisant de quelque façon que ce soit les engagements assumés par n’importe quel État » en vertu du protocole de Genève (et de la CAB).

    Universalisation du Protocole de Genève
    En novembre 2022, le Protocole de Genève comptait 146 États parties. Plus d’un tiers de ce nombre a adhéré au Protocole après l’ouverture à la signature de la CAC en 1972, le dernier nouvel État partie ayant adhéré au Protocole de Genève en 2020. Cette évolution indique que de nombreux États reconnaissent la pertinence du Protocole, même ceux qui n’ont pas encore adhéré à la CAB et à la CAC.

    Il est donc évident que la CAB et la CAC reposent sur les bases établies par le Protocole de Genève. Le Protocole est un instrument clé et « demeure un point d’ancrage crucial pour l’architecture juridique internationale et dont les principes exigent une adhésion diligente ».[4] En raison de la portée limitée du Protocole de Genève (qui ne traite que de l’utilisation et non d’autres activités telles que le développement, la possession, etc.) et des nombreuses réserves émises à son égard (qui limitent l’interdiction à « l’interdiction de la première utilisation »), la communauté internationale a dû créer de nouveaux instruments juridiques internationaux pour contrer la menace des armes biologiques et chimiques.

    Malgré la création et l’entrée en vigueur de la CAB et de la CAC, des efforts ont continué en vue de souligner l’importance du Protocole de Genève de 1925. Par exemple, dans la résolution 75/46[5] du 7 décembre 2020, l’Assemblée générale des Nations Unies :

    « 2. Demande de nouveau à tous les États de se conformer strictement aux principes et objectifs du Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, et réaffirme qu’il est vital de donner effet aux dispositions de cet instrument.
    3. Engage les États qui maintiennent leurs réserves au Protocole de Genève de 1925 à les retirer ; »

    Le Protocole de Genève de 1925 et les principes qu’il contient sont donc toujours perçus comme hautement pertinents. Le Protocole constitue le fondement du mécanisme d’enquête du Secrétaire général des Nations Unies sur l’utilisation présumée d’armes chimiques et biologiques[6] et de la criminalisation des armes biologiques et chimiques dans le Statut de Rome.[7] L’adhésion au Protocole est considérée comme une meilleure pratique au niveau international et les États non-parties sont encouragés à adhérer au Protocole dès que possible.

    [1] Pour consulter des exemples, se reporter à Bureau des Affaires de désarmement « Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques », document consulté au lien https://treaties.unoda.org/t/1925.

    [2] Base de données DIH CICR, « United States of America », Practice relating to Rule 74. Chemical Weapons », consultée au lien https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/docs/v2_cou_us_rule74

    [3] Septième Conférence d’examen des États parties à la Convention sur l’interdiction de la

    mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, « Document final de la septième Conférence d’examen », 13 janvier 2021, BWC/CONF.VII/7, article VIII, 42.

    [4]Alex Spelling, Brian Balmer and Caitriona McLeish, « The Geneva Protocol at 90: An Anchor for Arms Control?”, the Guardian, 17 June 2015, accessed at https://www.theguardian.com/science/the-h-word/2015/jun/17/the-geneva-protocol-at-90-an-anchor-for-arms-control.

    [5] Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, « Mesures visant à renforcer l’autorité du Protocole de Genève de 1925 », A/RES/75/46, 7 décembre 2020.

    [6] Voir la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, « Armes chimiques et bactériologiques (biologiques) », A/RES/42/37, 30 novembre 1987.

    [7] Voir le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998, article 8(2)(b)(xvii) et (xviii), l’amendement de 2010 au Statut de Rome (RC/Rés.5 ) Article 8(2)(e)(xiii) et (xiv), Amendement de 2017 au Statut de Rome (ICC-ASP/16/Rés.4) Article 8(2)(b)(xxvii), et Amendement de 2017 au Statut de Rome (ICC-ASP/16/Rés.4) Article 8(2)(e)(xvi).

  • Idée fausse n° 15 : les toxines et les armes à toxines relèvent uniquement du champ d’application de la CAB, et non de la CAC.

    L’idée fausse et ses implications
    Selon cette idée fausse, les toxines et les armes à toxines relèveraient uniquement du champ d’application de la CAB, et non de la CAC, ou seules les toxines telles que la ricine et les armes à toxines seraient interdites par la CAC. Une confusion quant au champ d’application de la CAB et de la CAC peut affaiblir la norme contre les armes à toxines si elle suggère que celles-ci ne sont pas ou seulement partiellement interdites.

    En outre, elle peut entraîner une confusion sur le champ d’application de la législation de mise en œuvre de ces conventions, ce qui pourrait aboutir à des lois et des règlements inadéquats et incomplets pour interdire et prévenir les activités illégales impliquant des toxines et des armes à toxines de manière efficace et globale. Cette démarche serait contraire aux Conventions et créerait un risque réel d’utilisation abusive impunie. Une législation appropriée doit permettre de poursuivre et de punir des actes tels que l’achat et la vente illicite de toxines, ainsi que la production d’une arme à toxines pour nuire aux personnes. Malheureusement, de tels incidents se sont produits ces dernières années.[1] La ricine, l’abrine ou d’autres toxines dangereuses doivent être incluses dans les listes nationales de substances soumises à contrôle et à interdiction. Cette omission peut conduire à l’absence ou à l’abandon de poursuites pénales pour des activités qui auraient dû être poursuivies.[2] Cela peut affaiblir l’effet dissuasif que la législation pénale peut avoir pour aider à empêcher de tels actes illégaux de se produire.

    La cause la plus simple de cette méprise est peut-être liée au nom complet de la CAB, qui est la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction. L’inclusion expresse des toxines dans le titre du traité peut amener certains décideurs, rédacteurs juridiques et experts techniques à penser que la Convention est la seule convention dédiée à l’interdiction et à la prévention des armes à toxines, ainsi qu’au contrôle des activités utilisant des toxines. Cependant, l’acronyme couramment utilisé pour la Convention sur les armes biologiques et à toxines ne mentionne pas l’élément « toxine » et se lit « CAB ». Ainsi, malgré cette idée fausse, les toxines ne sont parfois pas prises en compte dans les débats sur les armes biologiques, créant davantage de confusion sur le rôle des toxines dans la CAB.

    Une raison plus technique peut également expliquer les idées fausses ou les confusions sur le champ d’application de la CAB et de la CAC en ce qui concerne les toxines et les armes à toxines. À cet égard, le document d’orientation de l’OMS de 2004 intitulé Public Health Response to Biological and Chemical Weapons (Réponse de la santé publique aux armes biologiques et chimiques) note ce qui suit : « “toxine” est un mot qui n’a pas de signification communément acceptée dans la littérature scientifique ».[3] Il peut donc y avoir un malentendu sur la compréhension de la nature des toxines, leur production, ainsi que leur définition. Par conséquent, l’adoption d’une définition adéquate et la prise en compte globale des exigences de la CAB et de la CAC dans la législation sont plus complexes.

    Écarter l’idée fausse
    Il n’existe aucune définition du mot « toxines », que ce soit dans la CAB ou la CAC. L’article I de la CAB interdit explicitement « [les] agents microbiologiques ou autres agents biologiques, ainsi que [les] toxines quels qu’en soient l’origine ou le mode de production, de types et en quantités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques de protection ou à d’autres fins pacifiques ». Les États parties à la CAB ont précisé la portée de l’article I en ce qui concerne les toxines au cours des conférences d’examen successives, mais sans définir les toxines. Lors de la deuxième Conférence d’examen de la CAB en 1986, ils ont réaffirmé que « la Convention s’applique sans équivoque à toutes les toxines naturelles ou créées artificiellement […], quels que soient leur origine ou leur mode de production. Par conséquent, les toxines (protéiniques et non protéiniques) de nature microbienne, animale ou végétale et leurs analogues produits synthétiquement sont couverts ».[4] Lors de la sixième Conférence d’examen en 2006, ils ont en outre « déclaré que la Convention a une portée globale et que toutes les toxines naturelles ou artificielles ou modifiées […], ainsi que leurs composants, quels que soient leur origine et leur mode de production et qu’ils affectent les êtres humains, les animaux ou les plantes, de types et en quantités qui ne sont pas justifiés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins pacifiques, sont sans équivoque couverts par l’article I ».[5] En somme, les toxines visées par la CAB sont celles de nature microbienne, animale ou végétale ; elles peuvent être naturelles ou créées artificiellement ; et elles peuvent affecter les êtres humains, les animaux ou, contrairement à la CAC comme discuté ci-dessous, les plantes.

    Les documents d’orientation internationaux pertinents pour l’application de la CAB peuvent apporter des précisions supplémentaires. Les septième et huitième conférences d’examen ont noté l’intérêt de mettre en œuvre ces directives et normes volontaires.[6] En ce qui concerne les toxines, ces documents contribuent à la CAB en fournissant une définition du terme « toxine ». Le document d’orientation de l’OMS intitulé « Public Health Response to Biological and Chemical Weapons » précise que « la CAB, lorsqu’elle fait référence aux toxines, désigne les substances toxiques produites par tout organisme vivant, même lorsque ces substances sont effectivement produites par d’autres moyens, y compris par synthèse chimique ».[7] La norme ISO 35001 sur la gestion des risques biologiques pour les laboratoires et autres organisations apparentées, fournit une définition élargie selon laquelle une toxine est une « substance produite par les végétaux, animaux, protistes, champignons, bactéries ou virus qui, en quantités faibles ou modérées, produit un effet négatif sur les êtres humains, les animaux ou les végétaux ».[8] Les toxines connues pour avoir été utilisées comme armes comprennent les aflatoxines (produites par des champignons), les toxines botuliques et les toxines du staphylocoque doré (toxines bactériennes), ainsi que la saxitoxine et la ricine (toxines végétales). [9] Les effets nocifs de ces toxines sont les suivants : irritation des yeux, du nez et de la gorge, vision trouble, intoxication alimentaire, paralysie des muscles squelettiques, paresthésie et insuffisance respiratoire pouvant entraîner la mort. Toutefois, les toxines peuvent également être utilisées à des fins pacifiques légitimes, par exemple dans les domaines de la neuroscience, de la pharmacologie ou des traitements médicaux et esthétiques.[10]

    La CAC interdit les armes chimiques qui, en vertu de l’article I (1) (a), comprennent « les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs, à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins non interdites par la présente Convention, aussi longtemps que les types et quantités en jeu sont compatibles avec de telles fins ». Les produits chimiques toxiques sont définis à l’article II (2) comme « tout produit chimique qui, par son action chimique sur les processus vitaux, peut provoquer la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents chez les êtres humains ou les animaux ». Cela comprend tous les produits chimiques de ce type, quels qu’en soient l’origine ou le mode de fabrication, qu’ils soient obtenus dans des installations, dans des munitions ou ailleurs. […] ». Les toxines entrent dans cette définition, puisqu’elles sont à la fois toxiques et chimiques.[11] Les armes à toxines sont donc interdites par la CAC. La saxitoxine et la ricine figurent au tableau 1 de la CAC, pour l’application des mesures de vérification (voir l’idée fausse 7 concernant la signification des produits chimiques inscrits). Toutefois, comme le souligne l’article II (2) de la CAC, la Convention ne s’applique pas aux toxines qui causent des dommages aux végétaux, mais uniquement aux humains et aux animaux (voir l’idée fausse n° 9 pour plus de détails). Il est donc important d’inclure toutes les toxines qui sont nocives pour les plantes dans la législation d’application de la CAB afin de s’assurer que toutes les toxines sont couvertes par la législation nationale.

    En résumé, les toxines sont des produits chimiques toxiques qui entrent dans le champ d’application de la Convention sur les armes biologiques et de la Convention sur les armes chimiques. Toutefois, la CAB couvre toutes les toxines, alors que la CAC ne couvre pas les toxines qui affectent uniquement les plantes. Dans leur législation nationale d’application, les États doivent veiller à couvrir toutes les toxines, y compris celles qui affectent les plantes, conformément à la CAB, tout en tenant compte des exigences spécifiques de la CAC en ce qui concerne les produits chimiques inscrits tels que la ricine.

    [1] Voir Russell Moul et Yasemin Balci, « First conviction under UK’s BWC Act », VERTIC Trust and Verify Issue 147, p 7-8 ; Russell Moul et Yasemin Balci, « Sentencing of toxin salesman from the dark web », VERTIC Trust and Verify Issue 148, p 7 ; et Thomas Brown, « Couple charged with BW offence in Germany », VERTIC Trust and Verify Issue 164, p 13.

    [2] Voir Yasemin Balci, « Error in US biological weapons law leads to dropping of criminal charges », Trust & Verify Issue 162, p 13.

    [3] OMS « Public Health Response to Biological and Chemical Weapons » Directives OMS, Genève, 2004, p 214.

    [4] Document final de la deuxième Conférence d’examen de la CAB, 1986, BWC/CONF.II/13, p. 3.

    [5] CAB/CONF.VI/6, p. 9. Voir également les réitérations lors des Conférences d’examen successives, telles que compilées dans Additional understandings and agreements reached by previous Review Conferences relating to each article of the Convention Background information document submitted by the Implementation Support Unit, BWC/CONF.IX/PC/5, 10 janvier 2022.

    [6] Voir plus récemment huitième Conférence d’examen des États parties à la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, Document final de la huitième Conférence d’examen, BWC/CONF.VIII/4, 11 janvier 2017, II.D (13).

    [7] OMS « Public Health Response to Biological and Chemical Weapons » Directives OMS, Genève, 2004, p 6.

    [8] Ibid, Section 3.15.

    [9] Ibid, p. 216 et suivantes.

    [10] Conformément au « Australia Group Common Control List Handbook, vol. II Biological Weapons-related common Control Lists, Revision 6 », janvier 2021, p 2.

    [11] OMS « Public Health Response to Biological and Chemical Weapons » Directives OMS, Genève, 2004, p 5-6 ; 215.

  • Idée fausse n° 16 : les armes biologiques et chimiques sont toujours utilisées à échelle massive.

    L’idée fausse et ses implications
    L’utilisation des armes chimiques et biologiques impliquerait toujours une utilisation massive. Cette idée fausse découle sans doute de l’idée que les armes chimiques et biologiques sont des « armes de destruction massive ». Par conséquent, comme pour les idées fausses précédentes, une partie de l’idée est liée au fait que la guerre chimique et biologique est une guerre à grande échelle et sans discrimination sur le champ de bataille.

    Cette idée fausse peut conduire à ce que des actions concernant des armes biologiques ou chimiques soient ignorées au niveau international ou national par les autorités compétentes. En outre, au niveau national, les autorités chargées du respect de la loi peuvent être dans l’incapacité de poursuivre adéquatement les infractions liées aux armes biologiques ou chimiques en raison d’une mauvaise compréhension de la portée de la législation d’application de la CAB ou de la CAC.

    Écarter l’idée fausse
    Il est important de préciser que toutes les armes chimiques et biologiques ne sont pas des armes de destruction massive et qu’elles peuvent être utilisées à plus petite échelle.  Le terme « armes de destruction massive » (ADM) est souvent utilisé pour décrire les armes chimiques et biologiques (aux côtés d’autres armes comme les armes nucléaires et parfois radiologiques). L’expression ADM figure dans le préambule de la CAC[1] et de la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations Unies[2], mais aucun traité international ne définit ce terme de manière officielle. Les États définissent parfois le terme dans leur législation nationale ou dans d’autres instruments, mais une étude réalisée[3] en 2012 a trouvé plus de 50 définitions d’ADM émises par un gouvernement ou une organisation internationale. Certains spécialistes ont même plaidé pour l’abandon du terme, car il caractérise mal les problèmes propres à chaque type d’arme.[4] Ainsi, malgré les références aux armes chimiques et biologiques en tant qu’ADM, une telle caractérisation ne signifie pas qu’elles impliquent nécessairement une échelle de masse.

    Il est à noter que les dispositions de la CAB ou de la CAC ne prévoient pas de seuils de quantité en ce qui concerne ces armes. Comme indiqué ci-dessus, les définitions des armes biologiques et chimiques figurant dans les conventions font intervenir le critère de l’objectif général, selon lequel les armes sont définies par des activités impliquant certaines matières (agents biologiques, toxines ou produits chimiques toxiques) à certaines fins. Par conséquent, toute activité interdite impliquant un agent biologique, une toxine ou un produit chimique toxique à une fin interdite par le traité requis constituerait une violation de ce traité. Par exemple, l’utilisation d’un seul agent biologique, d’une seule toxine ou d’un seul produit chimique toxique pour nuire à une seule personne pourrait quand même être considérée comme l’utilisation d’une arme biologique ou chimique aux fins de la CAB/CAC. En outre, dans le cas de l’utilisation d’une arme biologique ou chimique, le texte des conventions ne fait pas référence au dommage réel causé par l’utilisation d’une arme biologique ou chimique, et il n’est donc pas nécessaire que l’effet de cette utilisation soit fatal pour qu’elle constitue une violation de la CAB ou de la CAC.

    En effet, les armes biologiques et chimiques ont historiquement été utilisées à plus petite échelle ou pour attaquer des cibles uniques. « Dans les années 1970, les armes biologiques ont été utilisées pour des assassinats clandestins[5] », notamment le tristement célèbre meurtre de Georgi Markov à Londres en 1978, auquel on aurait injecté la toxine ricine au moyen d’un parapluie spécialement modifié.[6] De même, des armes chimiques auraient été utilisées pour cibler des individus. Par exemple, une utilisation récente de novichok au Royaume-Uni (voir idée fausse n° 7) a conduit à l’inculpation de suspects pour « utilisation et possession de novichok en violation de la loi sur les armes chimiques »,[7] ce qui démontre que la législation nationale visant à mettre en œuvre la CAC peut être utilisée pour prévoir la responsabilité en cas d’utilisation à petite échelle de produits chimiques toxiques en tant qu’arme chimique. De même, en septembre 2020, l’Allemagne a demandé une assistance technique au Secrétariat technique de l’OIAC, en vertu du sous-paragraphe 38(e) de l’article VIII de la CAC, en relation avec l’utilisation présumée d’une arme chimique contre M. Alexei Navalny.[8] En outre, en 2017, Kim Jong-Nam, le demi-frère du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, a été assassiné à l’aéroport international[9] de Kuala Lumpur au cours d’une attaque qui impliquerait le produit chimique toxique VX. Il a été avancé que « le terme ADM n’est donc peut-être pas utile pour réfléchir aux cas d’utilisation de ces armes au cours des dernières décennies, dans lesquels les acteurs étatiques et non étatiques violents ont semblé privilégier l’utilisation tactique des NRBC avec des effets adaptés ».[10]

    Il est donc important que tous les acteurs impliqués dans la prévention des armes biologiques et chimiques comprennent ce que sont ces armes, afin de permettre aux parties prenantes de mettre en œuvre les conventions de manière efficace. Toute activité interdite impliquant un agent biologique, une toxine ou un produit chimique toxique à une fin qui n’est pas autorisée par le traité requis serait une violation de ce traité et constituerait une infraction au niveau national, pour autant que les interdictions et les sanctions requises aient été transposées en droit national.

    [1] Préambule de la CAC : « Résolus à agir en vue de réaliser des progrès effectifs vers un désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace, y compris l’interdiction et l’ élimination de tous les types d’armes de destruction massive ».

    [2] Réaffirmant, dans ce contexte, la déclaration de son président adoptée lors de la réunion du Conseil au niveau des chefs d’État et de gouvernement le 31 janvier 1992 (S/23500), notamment la nécessité pour tous les États membres de s’acquitter de leurs obligations en matière de maîtrise des armements et de désarmement et d’empêcher la prolifération sous tous ses aspects de toutes les armes de destruction massive.

    [3] W. Seth Carus, Defining‘ Weapons of Mass Destruction ’», Center for the Study of Weapons of Mass Destruction Occasional Paper, n° 8, janvier 2012.

    [4] Bryan R. Early, Erika G. Martin, Brian Nussbaum, Kathleen Deloughery. « Should conventional terrorist bombings be considered weapons of mass destruction terrorism? » Dynamics of Asymmetric Conflict 10:1, 2017, p 54-73

    [5] Stefan Riedel, « Biological warfare and bioterrorism: a historical review », Proceedings (Baylor University. Medical Center) Octobre 2004 ; 17(4) : p 400–406.

    [6] Ibid.

    [7] Crown Prosecution Service, « CPS Statement – Salisbury », 5 septembre 2018, document consulté au lien https://www.cps.gov.uk/cps/news/cps-statement-salisbury.

    [8] OIAC, « Featured Topic Case of Mr Alexei Navalny », document consulté au lien https://www.opcw.org/media-centre/featured-topics/case-mr-alexei-navalny.

    [9] Consulter Scott Spence, « The curious case of Kim Jong-nam and Malaysia’s CWC legislation », Trust & Verify No.156, VERTIC, printemps 2017.

    [10]Natasha E. Bajema, « Beyond Weapons of Mass Destruction: Time for a New Paradigm? », Council on Strategic Risks, Briefer No.13, 1er février 2021, p 1.

  • Idée fausse n° 17 : le genre n’a aucune importance en matière de régimes d’armes biologiques et chimiques.

    L’idée fausse et ses implications
    Les discussions sur les considérations de genre au cours des forums multilatéraux de la CAB et de la CAC sont parfois controversées ou ne couvrent que des aspects limités du débat. Refuser d’examiner les aspects liés au genre des questions relatives aux armes biologiques, à toxines et chimiques ou le faire partiellement peut être un choix délibéré, mais cela peut aussi être le résultat d’un malentendu sur la mesure dans laquelle un aspect est lié à l’autre et pourrait faire l’objet de discussions dans le cadre des conventions. Si des facteurs sociétaux ou autres facteurs non juridiques peuvent amener certains à penser que le genre n’a rien à voir avec le régime des armes biologiques, toxiques et chimiques, cette idée fausse peut également résider dans les dispositions, ou l’absence de certaines dispositions, des conventions. Contrairement à des instruments plus récents comme le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), la CAB et la CAC ne font pas référence aux conséquences de l’utilisation des armes biologiques, chimiques et à toxines sur les femmes et les filles, ni à leur participation au désarmement biologique et chimique. L’absence de référence explicite dans les conventions peut conduire certains à penser que ces questions ne peuvent pas être abordées par les États parties et les institutions impliquées dans la mise en œuvre des conventions.

    Les conséquences potentielles, ou déjà établies, de l’absence de perspective de genre dans le travail sur les questions liées à la CAB et à la CAC ont été mises en évidence dans un certain nombre d’études. [1] Elles comprennent :
    • La sous-représentation des femmes dans les délégations officielles des États, aux postes clés de ces délégations ou dans les organisations internationales telles que l’OIAC ou les Nations Unies ;
    • Par conséquent, l’exclusion des perspectives et de l’expertise d’une partie importante de la population ;
    • L’absence de prise en compte de questions spécifiques telles que l’impact de l’utilisation d’armes biologiques et chimiques sur les femmes et les filles en tant que victimes ou premiers intervenants, et la manière de mieux adapter en conséquence la préparation et la réponse aux attaques aux armes biologiques et chimiques.[2]

    En outre, cette idée fausse peut avoir des répercussions sur le respect de certains instruments internationaux qui encouragent et exhortent désormais spécifiquement les États à adopter des mesures liées aux questions de genre.

    Dispositions du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires relatives à l’égalité des sexesPréambule :
    Conscients des risques que fait peser la persistance des armes nucléaires [qui] touchent de manière disproportionnée les femmes et les filles, notamment en raison des effets des rayonnements ionisants […]
    Réaffirmant également que la mise en œuvre intégrale et effective du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, pierre angulaire du régime de non-prolifération et de désarmement nucléaires, est indispensable pour favoriser la paix et la sécurité internationales […]Article 6 Assistance aux victimes et remise en état de l’environnement

    1. Chaque État Partie fournit de manière suffisante aux personnes relevant de sa juridiction qui sont touchées par l’utilisation ou la mise à l’essai d’armes nucléaires, conformément au droit international humanitaire et au droit international des droits de l’homme applicables, une assistance prenant en considération l’âge et le sexe, sans discrimination, y compris des soins médicaux, une réadaptation et un soutien psychologique, ainsi qu’une insertion sociale et économique. […]

    Écarter l’idée fausse
    Le Bureau des affaires de désarmement des Nations Unies définit le genre comme désignant « les attributs et les possibilités socialement construits associés aux femmes, aux hommes, aux filles et aux garçons ainsi qu’aux personnes non binaires ou fluides du point de vue du genre ».[3] Comme mentionné ci-dessus, ni la CAB ni la CAC ne comportent de dispositions relatives au genre, mais ce constat n’empêche pas les États parties de convenir de soutenir l’égalité et les perspectives de genre. Par exemple, d’autres questions qui ne sont pas explicitement mentionnées dans la CAB ont fait l’objet d’ententes et d’accords supplémentaires des États parties lors des conférences d’examen, afin d’interpréter, de définir ou d’élaborer le sens ou la portée d’une disposition de la convention, ou de fournir des instructions, des lignes directrices ou des recommandations sur la manière dont une disposition devrait être appliquée.[4] De même, il a été proposé d’inclure un point permanent à l’agenda des réunions de la CAB pour que les États parties discutent et conviennent des moyens de renforcer l’égalité et les perspectives de genre dans toutes les activités liées à la CAB.[5]

    À l’OIAC, les pratiques institutionnelles peuvent être adaptées pour prendre en compte les considérations liées au genre. Le directeur général s’est engagé à faire partie de l’Initiative internationale des champions du genre, et le Secrétariat a entrepris un audit sur le genre et la diversité en 2020 pour « vérifier le niveau d’institutionnalisation de l’égalité des sexes, de la diversité et de l’inclusion au sein du Secrétariat, en analysant les politiques, les pratiques et les programmes ».[6] D’autres travaux pourraient être réalisés pour promouvoir la participation des femmes dans la chimie à travers le monde.

    Le genre a également été progressivement inclus dans les résolutions adoptées par les organes des Nations Unies, notamment celles qui portent sur le désarmement, la non-prolifération et le contrôle des armes. La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 31 octobre 2000, a joué un rôle clé dans la reconnaissance du rôle des femmes dans la paix et la sécurité et dans la promotion des perspectives de genre et de l’égalité dans ce contexte. Le 8 décembre 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 65/69 sur les femmes, le désarmement, la non-prolifération et la maîtrise des armements, qui mettait l’accent sur la représentation équitable et la participation effective des femmes à tous les processus décisionnels et institutions liés au désarmement, à la non-prolifération et à la maîtrise des armements. Les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies concernant la CAB ont encouragé, dans leur préambule, la participation équitable des femmes et des hommes dans le cadre de la convention.[7] L’égalité et la parité entre les sexes, l’analyse et les perspectives de genre sont donc désormais associées aux questions liées au désarmement, à la non-prolifération et au contrôle des armes, notamment les armes biologiques et chimiques.

    [1] Voir par exemple UNIDIR, « Gender Equality in the Biological Weapons Regime », Factsheet: Gender and biological weapons, International Gender Champions Disarmament Impact Group, 4 mai 2021.
    Https://unidir.org/gender-biological-weapons ; UNIDIR « Gender Equality in the Chemical Weapons Regime », Factsheet: Gender and chemical weapons, 16 novembre 2021
    https://unidir.org/publication/factsheet-gender-and-chemical-weapons ; Renata Hessmann Dalaqua, Kjølv Egeland, Torbjørn Graff Hugo, « Still behind the curve. Gender balance in arms control, non-proliferation and disarmament diplomacy », UNIDIR, 2019, https://unidir.org/publication/still-behind-curve ; Carol Cohn with Felicity Hill and Sara Ruddick, « The Relevance of Gender for Eliminating Weapons of Mass Destruction », The Weapons of Mass Destruction Commission, Document n° 38, 2005.
    [2] Voir également Renata Hessmann Dalaqua, James Revill, Alastair Hay, Nancy Connell, « Missing Links : Understanding Sex- and Gender-Related Impacts of Chemical and Biological Weapons », UNIDIR, 2019, p 9-20.

    [3] Bureau des Affaires de désarmement des Nations Unies, « UNODA Gender Policy 2021-2025 », 2021, document consulté au lien

    Https://www.un.org/disarmament/topics/gender-policy/ ; EU Non-proliferation and disarmament eLearning course, M. Zarka, Learning Unit 16 Gender and disarmament, https://nonproliferation-elearning.eu/.

    [4] « Ententes et accords additionnels conclus par les conférences d’examen précédentes concernant chaque article de la Convention », Document d’information soumis par l’Unité d’appui à l’application de la Convention au Comité préparatoire de la neuvième Conférence d’examen des États parties à la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, BWC/CONF.IX/PC/5, 10 janvier 2022.

    [5] Voir par exemple « Enhancing Gender Equality and Women’s Empowerment as an Integral Part of the Institutional Strengthening of the Biological Weapons Convention (BWC) », document de travail présenté par le Panama à la réunion des États parties à la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, BWC/MSP/2020/WP.6, 19 novembre 2021.

    [6] Projet de rapport de l’OIAC sur la mise en œuvre de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction 2020, EC-97/2 C-26/CRP.1, 7 juillet 2021, para. 5.13.

    [7] Voir par exemple la résolution 76/67 sur la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, adoptée le 6 décembre 2021.

  • Idée fausse n° 18 : les traités sur les armes chimiques et biologiques sont violés et sont voués à l’échec.

    L’idée fausse et ses implications
    Certains pensent que les récentes allégations d’utilisation d’armes chimiques et de violations de la CAC sapent ces instruments et témoignent de leur dysfonctionnement. Cette idée fausse découle des allégations de non-respect de la CAB et de la CAC chimiques au XXIe siècle. De multiples allégations d’utilisation d’armes chimiques ont été formulées dans le monde entier, en particulier depuis 2010, et des missions d’enquête internationales ont confirmé leur utilisation dans un certain nombre de cas.[1] En effet, Mme Izumi Nakamitsu, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Haute représentante pour les affaires de désarmement, a noté en octobre 2022 que « l’utilisation d’armes chimiques ou de produits chimiques interdits en République arabe syrienne, en Malaisie, en Irak, au Royaume-Uni et dans la Fédération de Russie a menacé les normes inscrites dans la Convention sur les armes chimiques ».[2] En particulier, le conflit en République arabe syrienne et l’utilisation répétée et confirmée d’armes chimiques ont mis à l’épreuve le régime de la CAC. En outre, les allégations de violations de la CAB ont conduit à s’interroger sur l’efficacité du traité. L’idée fausse n° 3 sur la recherche transfrontalière démontre que les allégations entourant la non-conformité à la CAB peuvent miner le traité.

    Cette idée fausse peut susciter de graves répercussions sur le cadre juridique international relatif aux armes biologiques et chimiques. Ces traités contiennent les interdictions fondamentales de ces armes et, par conséquent, l’idée que les traités ne fonctionnent pas pourrait encourager les États à ne pas respecter leurs obligations conventionnelles, voire à se retirer de ces instruments. En outre, cette idée fausse peut empêcher les États d’utiliser les pouvoirs dont ils disposent pour répondre à toute violation. Les deux traités contiennent des mécanismes permettant de répondre aux violations présumées, et l’idée que le traité en question est défaillant pourrait décourager les États de recourir à ces mécanismes.

    Écarter l’idée fausse
    Cette idée fausse remet en cause le cœur du régime juridique international de prévention des armes biologiques et chimiques en remettant en question l’efficacité des traités fondateurs qui interdisent ces armes. Pour déconstruire cette idée fausse, il est donc nécessaire de reconnaître les dommages causés par les violations de la CAC et les allégations de non-respect de la CAB, mais aussi de célébrer les succès significatifs des deux instruments. Les régimes de la CAB et de la CAC ont tous deux été confrontés à un certain nombre de défis institutionnels, notamment en vue de répondre aux allégations de violations. Comme indiqué précédemment à propos de l’idée fausse n° 5, la CAB ne dispose pas d’un mécanisme de vérification et l’application de la Convention constitue un défi supplémentaire pour les États parties. En ce qui concerne la CAC, les mécanismes de responsabilité ont fait que, malgré les violations du traité soulignées ci-dessus, il s’est avéré difficile d’engager la responsabilité des auteurs.

    Néanmoins, il est important de considérer les succès significatifs de la CAB et de la CAC comme des éléments clés de l’architecture juridique internationale visant à prévenir les armes biologiques et chimiques. En effet, la CAC est sans doute l’un des traités de désarmement les plus réussis. En novembre 2022, plus de 99 % des stocks mondiaux d’armes chimiques avaient été détruits sous la vérification de l’OIAC, une réalisation remarquable qui a apporté des avantages considérables à l’humanité. Le désarmement, en termes d’élimination des armes et de prévention de l’armement ou du réarmement futur avec des armes chimiques, est un élément clé de la CAC, comme le reconnaît le préambule de la convention ; c’est aussi  une obligation en vertu de l’article premier. L’universalisation du traité est également un signe de son importance continue. Avec 193 États parties au 1er décembre 2022, c’est le traité limitant la possession ou l’utilisation d’un type particulier d’armement qui compte le plus d’États parties, devant la CAB et le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

    En outre, malgré les défis susmentionnés posés par l’utilisation d’armes chimiques en République arabe syrienne et les problèmes de vérification actuels liés à la certification de l’élimination complète des capacités d’armement chimique de la Syrie, l’OIAC a été en mesure de réagir par le biais d’un certain nombre de mécanismes liés à la vérification de la destruction des stocks d’armes chimiques existants et à l’établissement des faits et à l’enquête sur les allégations d’utilisation.[3]

    Le travail de l’Organisation a été salué par beaucoup et l’OIAC a reçu le prix Nobel de la paix en 2013 pour ses efforts considérables en vue d’éliminer les armes chimiques. Dans l’ensemble, on peut affirmer que « compte tenu des complexités de la diplomatie multilatérale en matière de désarmement, la CAC est une réussite à tous points de vue ».[4]

    Malgré les défis institutionnels pour le régime de la CAB mentionnés ci-dessus et dans la réponse à d’autres idées fausses, il est clair que la CAB reste l’instrument clé pour prévenir les armes biologiques. Les États continuent d’adhérer à la CAB, ce qui porte le nombre total de parties à 184. Les données de l’Unité d’appui à l’application de la CAB font également état d’un recours accru aux divers mécanismes prévus par le traité ces dernières années, notamment « une augmentation significative du nombre d’États parties, d’organisations régionales et internationales et d’autres entités cherchant à obtenir une assistance pour la mise en œuvre ou d’autres aspects de la Convention ».[5] Elle prouve également que les États soumettent de plus en plus de rapports sur les mesures de confiance,[6] la quantité de rapports reçus en 2021 étant la plus élevée de toutes les années à ce jour. L’absence continue d’utilisation avérée d’armes biologiques et l’échange pacifique d’équipements, de matériaux et d’informations scientifiques et technologiques liés aux agents biologiques et aux toxines démontrent que la CAB atteint ses objectifs. En définitive, la CAB et la CAC sont toutes deux des instruments clés interdisant les armes dangereuses, auxquels la grande majorité des États sont parties. Les mécanismes nouveaux et ad hoc mis en place pour répondre aux défis posés par les traités ont démontré qu’il s’agit d’instruments vivants qui peuvent s’adapter à de nouveaux défis. Il est impératif que les États parties continuent d’œuvrer à la mise en œuvre et au renforcement des deux conventions, tout en reconnaissant leur rôle important pour assurer la non-prolifération de ces armes, et tout pas dans la direction opposée pourrait entraîner de graves conséquences pour la paix et la stabilité mondiales.

    [1] Par exemple, consulter le rapport de la mission d’établissement des faits de l’OIAC en Syrie concernant un incident présumé à Saraqib (République arabe syrienne) le 4 février 2018 S/1626/2018, 15 mai 2018, paragraphe 7.4 : « du chlore, libéré de cylindres par impact mécanique, a probablement été utilisé comme arme chimique le 4 février 2018 dans le quartier d’Al Talil à Saraqib. »

    [2] Discours liminaire à la réunion des ministres de la défense de l’ANASE – Plus Conférence sur les armes chimiques, biologiques et radiologiques (CBR) « Une approche holistique pour faire face aux menaces CBR », Déclaration de Mme Izumi Nakamitsu, Haute Représentante pour les affaires de désarmement, 11 octobre 2022.

    [3] Voir OIAC, « Syria and the OPCW », https://www.opcw.org/media-centre/featured-topics/syria-and-opcw.

    [4] Jean Pascal Zanders, « The CWC ten years ahead » dans « The future of the CWC in the post-destruction phase », European Union Institute for Security Studies, Rapport n° 15, Mars 2013, p 8.

    [5] Réunion des États parties à la Convention sur l’interdiction et le stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, « Rapport annuel de l’Unité d’appui à l’application de la Convention », (BWC/MSP/2020/4), 27 septembre 2021, p.4 https://undocs.org/en/BWC/msp/2020/4

    [6] Unité de soutien à la mise en œuvre de la Convention sur les armes biologiques, « BWC Electronic Confidence Building Measures Portal », https://bwc-ecbm.unog.ch/

  • Idée fausse n° 19 : la signature de la CAB ou de la CAC par un État lie ce dernier à toutes les obligations du traité.

    L’idée fausse et ses implications
    Les articles de presse font souvent référence, à tort, aux États qui ont « signé » la CAB et la CAC ou aux « États signataires », alors qu’ils veulent parler des États qui sont juridiquement liés par ces conventions. Techniquement, ils doivent être collectivement appelés « États parties » à ces traités.

    En outre, le rôle de leurs dépositaires, l’OIAC et l’Unité d’appui à l’application de la CAB, n’est pas toujours décrit avec précision. « Signature » et « signataire », ainsi qu’États « parties » sont tous des termes juridiques importants qui sont définis dans le droit international des traités. Ils ont des significations distinctes qui, souvent, ne sont pas reflétées avec précision dans les reportages. Les aspects institutionnels d’une convention et du régime qu’elle établit peuvent également créer des confusions et des idées fausses sur le statut et le rôle d’entités telles que l’OIAC ou l’Unité d’appui à l’application de la CAB.

    Le statut des États au regard des instruments internationaux tels que la CAB et la CAC a des implications juridiques ; il détermine dans quelle mesure ils sont liés par ces instruments, quels droits et obligations ils ont, et par conséquent si ou quand ils peuvent être en situation de non-respect de ces instruments. La classification à tort d’un État comme « signataire » d’une convention donne une image erronée des engagements de l’État au titre de cette convention. De même, une représentation erronée des aspects institutionnels de chaque convention peut créer de fausses hypothèses et attentes sur les fonctions et les pouvoirs de certaines entités, et conduire à une analyse inexacte de leurs succès et échecs.

    Écarter l’idée fausse
    Pour les traités multilatéraux, c’est-à-dire les traités auxquels peuvent adhérer plus de deux parties, comme la CAB et la CAC, la signature n’est généralement que la première étape que les États doivent franchir pour être juridiquement liés par ce traité. En général, après avoir signé un traité, les États cherchent à obtenir l’approbation de leur parlement, de leur assemblée nationale ou de leur congrès, au niveau national, pour être juridiquement liés par le traité. Une fois cette approbation accordée, l’État dépose un « instrument de ratification » auprès du dépositaire du traité, ce qui constitue l’étape finale garantissant que l’État est désormais considéré comme une partie au traité.

    Les États signataires sont donc des États qui ont signé la CAB ou la CAC, mais qui ne les ont pas encore ratifiées. Cette étape supplémentaire du dépôt de leurs instruments de ratification est nécessaire pour qu’ils deviennent juridiquement liés par les conventions et il existe un certain nombre de cas significatifs d’États signataires, mais non parties à des traités internationaux. En tant qu’États signataires, ils ont néanmoins déjà l’obligation de s’abstenir d’actes qui iraient à l’encontre de l’objet et du but de ce traité.

    Il convient de noter qu’il est toujours possible pour les États qui n’ont pas signé les conventions pendant la période où elles étaient ouvertes à la signature de devenir partie. Cela s’effectue par le biais d’une procédure similaire, généralement appelée adhésion, qui n’implique que l’étape du dépôt d’un instrument d’adhésion après l’approbation d’un tel dépôt au niveau national.

    Les instruments de ratification ou d’adhésion, qui sont des documents juridiques, sont déposés, ou en d’autres termes envoyés par l’État aux dépositaires désignés du traité. Le rôle d’un dépositaire est d’administrer le traité. Le dépositaire de la CAC est le secrétaire général des Nations Unies ; les dépositaires de la CAB sont les gouvernements du Royaume-Uni, de la Fédération de Russie et des États-Unis. Les États qui ont exprimé leur consentement à être liés par ratification ou adhésion et pour lesquels le traité est en vigueur sont appelés États parties. « L’entrée en vigueur » désigne la date à laquelle les conventions deviennent contraignantes pour les États qui ont exprimé leur consentement à être liés par elles. Il peut s’agir d’une date spécifique mentionnée dans le traité, ou d’une date à laquelle un nombre déterminé de ratifications ou d’adhésions ont été déposées auprès du dépositaire. Une fois que les conventions sont en vigueur pour un État donné, elles sont contraignantes pour cet État, ainsi que pour les autres États parties, et elles doivent être exécutées par ces derniers de bonne foi.

    La Convention sur les armes chimiques crée l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, une organisation indépendante chargée de veiller à l’application et à la vérification des dispositions de la convention. Tous les États parties à la CAC sont également des États membres de l’OIAC, qui se compose de trois organes : la Conférence des États parties, le Conseil exécutif et le Secrétariat technique (sur l’OIAC, voir également l’idée fausse n° 10). Le terme « États membres » n’est applicable que s’il existe une organisation pertinente dont les États peuvent devenir membres. L’OIAC constitue également un forum de consultation et de coopération entre les États parties à la CAC. Les États parties se réunissent chaque année lors de la Conférence des États parties (CSP), principal organe de décision de l’OIAC, et une fois tous les cinq ans lors d’une session spéciale de la CSP, appelée Conférence d’examen.

    Contrairement à la CAC, la CAB n’a pas entraîné la création d’une organisation internationale. Toutefois, comme la CAC, elle convoque une conférence d’examen tous les cinq ans. Depuis 2003, suite à une décision prise lors de la cinquième Conférence d’examen, les États parties à la CAB se réunissent également tous les ans lors de la réunion des États parties entre les conférences d’examen. Au cours de la sixième Conférence d’examen, les États parties à la convention ont créé une « Unité d’appui à l’application » (voir ci-dessus) qui fonctionne désormais au sein de la branche genevoise du Département des affaires de désarmement des Nations Unies (UNODA). L’effectif de l’Unité d’appui à l’application est nettement inférieur à celui de l’OIAC, avec seulement trois employés permanents et un budget sensiblement moins élevé (voir idée fausse n° 20). Le mandat de l’Unité a été renouvelé et élargi au fil des ans et comprend désormais la fourniture d’un soutien et d’une assistance pour les questions administratives, la mise en œuvre nationale, les mesures de confiance et l’universalité ; l’administration de la base de données pour les demandes et les offres d’assistance et la facilitation des échanges d’informations associés ; et le soutien des efforts des États parties pour mettre en œuvre les décisions et les recommandations des conférences d’examen de la CAB.

    Pour approfondir
    Voir le cours eLearning de l’UE sur la non-prolifération et le désarmement, Y. Balci et S. Drobysz, Learning Unit 17 Non-proliferation and disarmament law, https://nonproliferation-elearning.eu/.
  • Idée fausse n° 20 : les États parties à la CAB/CAC sont confrontés à des charges excessives

    L’idée fausse et ses implications
    Les États parties à la CAB et à la CAC sont confrontés à un certain nombre de charges importantes et excessives. Le régime de vérification industrielle de la CAC est souvent cité comme un défi pour les nouveaux États parties, de même que la rédaction de la législation d’application et la crainte de charges financières.

    Cette idée fausse implique que les États non parties ne devraient pas adhérer à la CAB et à la CAC en raison des charges perçues. Cette idée fausse peut donc entraver l’universalisation des traités en donnant l’impression aux principales parties prenantes des États non-parties que l’adhésion à la CAB ou à la CAC serait excessivement difficile. Les États sont souvent confrontés à un certain nombre de priorités concurrentes au niveau national et international et les instruments internationaux relatifs aux armes biologiques et chimiques peuvent ne pas être une priorité politique. La conviction qu’il serait particulièrement onéreux pour les nouveaux États parties d’adhérer à l’un ou l’autre traité peut donc saper les efforts nationaux en ce sens.

    Écarter l’idée fausse
    Tout d’abord, il est important de reconnaître qu’il est vrai qu’un certain nombre d’obligations pèsent sur les Etats parties aux Conventions, en particulier sur les Etats parties à la CAC. Par exemple, en vertu du régime de la CAC, les États parties doivent désigner ou établir une autorité nationale pour assurer, au minimum, une liaison efficace avec l’OIAC et les autres États parties. Les États parties doivent en outre faire les déclarations prévues par la CAC. Les États doivent soumettre une déclaration initiale concernant toute activité chimique programmée,[1] ainsi que la possession de tout stock d’armes chimiques ou de toute installation de fabrication d’armes chimiques. En outre, ils doivent soumettre des déclarations annuelles sur certaines activités antérieures et prévues liées aux produits chimiques inscrits[2] et faciliter l’inspection internationale de l’OIAC pour vérifier ces déclarations. En vertu de l’article I, les États parties doivent également détruire toutes les armes chimiques et les installations de fabrication d’armes chimiques et autres infrastructures connexes dont ils sont propriétaires ou détenteurs.

    Malgré l’absence d’un mécanisme de vérification formel, les États parties à la CAB doivent encore adopter un certain nombre de mesures au niveau national. En plus de prendre des mesures au niveau national pour mettre en œuvre le traité par le biais de la législation et d’autres mesures similaires, les États parties à la CAB doivent désigner un point de contact national, chargé de coordonner la mise en œuvre nationale de la CAB et de communiquer avec les autres États parties et les organisations internationales concernées. Comme indiqué dans l’idée fausse n° 5, ils doivent en outre soumettre chaque année des informations sur les mesures de confiance à l’Unité d’appui à l’application de la Convention, ce qui nécessitera la collecte d’informations au niveau national. En vertu de l’article II, les États parties devront en outre détruire ou détourner à des fins pacifiques tous les agents, toxines, armes, équipements et vecteurs visés à l’article I.

    Il existe également un certain nombre de coûts financiers pour les États parties aux deux conventions au niveau international. Toutefois, en ce qui concerne la CAB, les contributions facturées aux États en 2021 s’élèvent à moins de 2 millions de $.[3] En outre, les contributions sont pondérées sur la base du barème des quotes-parts de l’ONU au prorata pour tenir compte des différences de composition entre la Convention et l’ONU. L’Unité d’appui à l’application de la CAB a noté au début de l’année 2022 que « sur la base du barème des quotes-parts pour 2021, près des deux tiers (64 %) des 183 États parties actuels versent moins de 1 000 USD par an à la Convention ».[4] Un processus similaire est en place pour la Convention sur les armes chimiques, où l’OIAC dispose d’un budget annuel nettement plus important d’environ 68 millions d’euros en raison du nombre d’activités qu’elle entreprend.[5] Néanmoins, le barème des contributions signifie que certains États parties à la CAC versent moins de 1 000 € par an.[6]

    Par conséquent, comme le démontre la présente publication, l’adhésion à la CAB et à la CAC présente un certain nombre d’avantages évidents pour les États, qui dépassent de loin les coûts ou les charges perçus lors de la mise en œuvre des traités dans la pratique.

    Avantages de l’adhésion et de la mise en œuvre de la CAB et de la CAC

    • Les États montrent clairement leur engagement en faveur d’un monde exempt d’armes biologiques et chimiques ;
    • Les États peuvent enquêter, poursuivre et punir les infractions liées à l’utilisation abusive d’agents biologiques et de toxines, de produits chimiques toxiques et de leurs précurseurs, et de matières connexes ;
    • Les États peuvent contrôler et superviser toutes les activités liées aux agents biologiques et aux toxines, aux produits chimiques toxiques et à leurs précurseurs, ainsi qu’aux équipements et technologies connexes ;
    • Les États peuvent mieux se préparer et répondre aux incidents biologiques et chimiques ;
    • Les États renforceront leur sécurité nationale ainsi que la santé et la sécurité publiques ;
    • Développement économique et technologique résultant de l’échange et de l’utilisation de produits chimiques toxiques et de leurs précurseurs, d’agents biologiques et de toxines, ainsi que d’équipements et de technologies connexes ;
    • Signalement aux investisseurs potentiels que l’État est un lieu sûr et responsable pour les activités impliquant des agents biologiques et des toxines, des produits chimiques toxiques et leurs précurseurs, ainsi que les équipements et technologies connexes.

    Afin d’atténuer certains des défis posés par la mise en œuvre des deux traités, les États parties peuvent solliciter le soutien d’organisations internationales, d’organisations non gouvernementales et d’autres États parties. Par exemple, l’OIAC a élaboré un certain nombre de programmes de renforcement des capacités afin de faciliter la mise en œuvre nationale de la CAC en vertu de l’article VII, de fournir une assistance et une protection contre les armes chimiques conformément à l’article X de la convention, et de promouvoir la coopération internationale dans le domaine des activités chimiques pacifiques conformément à l’article XI.[7] L’Unité d’appui à l’application de la CAB « facilite également les activités visant à promouvoir la participation au processus des mesures de confiance »[8] pour les États parties à la Convention, ce qui peut aider les nouveaux États parties à soumettre leurs premières mesures de confiance. Les acteurs de la société civile peuvent également jouer un rôle utile en soutenant certains de ces processus grâce à leur expertise technique.

    Comme le démontre l’idée fausse n°13, les États doivent adhérer à la CAB et à la CAC indépendamment de leur implication passée dans les armes chimiques et biologiques, afin de s’assurer qu’ils puissent bénéficier des avantages pacifiques de l’échange et de l’utilisation des produits chimiques toxiques, des agents biologiques et des toxines, ainsi que des matières connexes. Les deux traités sont de plus en plus proches de l’universalisation, car de nouveaux États continuent de voir que les avantages de l’adhésion et de la mise en œuvre de la CAB et de la CAC l’emportent sur les inconvénients.

    [1] OIAC, « Declaration Requirements for Scheduled Chemicals », document consulté au lien https://www.opcw.org/resources/declarations/declaration-requirements-scheduled-chemicals.

    [2] Ibid.

    [3]Neuvième Conférence d’examen des États parties à la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, « The overall financial status of the Convention and financial implications of proposals for follow-on action after the Ninth Review Conference », BWC/CONF.IX/PC/4, 14 février 2022.

    [4] Ibid

    [5] Vingt-sixième session de la Conférence des États parties à la Convention sur les armes chimiques, « Decision: Programme and Budget of the OPCW for 2022-2023 » C-26/DEC.11, 1er décembre 2021.

    [6] Vingt-sixième session de la Conférence des États parties à la Convention sur les armes chimiques, « Decision: Scale of Assessments for 2022 », C-26/DEC. 8, 30 novembre 2021.

    [7] OIAC, « Capacity Building », document consulté au lien https://www.opcw.org/resources/capacity-building.

    [8] UNODA, “Implementation Support Unit”, accessed at https://www.un.org/disarmament/biological-weapons/implementation-support-unit.

  • Idée fausse n° 21 : la CAB et la CAC ne concernent que les États.

    L’idée fausse et ses implications
    Les traités internationaux que sont la CAB et la CAC concerneraient seulement les États, et non les acteurs non étatiques tels que l’industrie, les groupes non étatiques ou les particuliers. En particulier, les acteurs industriels sont souvent peu conscients de l’importance des deux traités et des structures internationales en place autour d’eux. Le manque de participation des groupes industriels à la CAC, par exemple, peut conduire ces acteurs à ne pas s’engager sur des idées visant à actualiser les obligations du traité afin d’améliorer les processus de déclaration et de vérification sans entraver indûment leurs activités aux niveaux national et international.

    Cette idée fausse peut entraver l’engagement des acteurs non étatiques à l’égard des traités. Ces acteurs peuvent avoir des obligations liées à la Convention qu’ils ignorent. Ce constat peut conduire à des violations involontaires des mesures d’application des traités.

    Écarter l’idée fausse
    En vue de leur application aux acteurs non étatiques, la CAB et la CAC doivent être mises en œuvre par le biais de la législation nationale et d’autres mesures. Une fois qu’un État a ratifié la CAB ou la CAC ou y a adhéré, et qu’il est tenu d’en appliquer les dispositions, il doit prendre des mesures pour mettre en œuvre les traités au niveau national. Comme indiqué ailleurs, l’article IV de la CAB oblige chaque État partie, conformément à ses règles constitutionnelles, à prendre toutes les mesures nécessaires pour interdire et prévenir l’emploi, la mise au point, la fabrication, le stockage, l’acquisition ou la conservation d’armes biologiques sur son territoire et en tout lieu placé sous sa juridiction ou son contrôle. De même, l’article VII de la CAC exige de tous les États parties qu’ils adoptent les mesures nécessaires pour s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de la Convention, notamment une législation pénale appropriée. Ils doivent ensuite informer l’OIAC des mesures prises.

    En adoptant des mesures législatives, réglementaires et autres pour mettre en œuvre les conventions, les États peuvent s’assurer que les obligations sont contraignantes pour les acteurs non étatiques. Pour mettre en œuvre la CAB et la CAC dans un cadre législatif national, les États doivent adopter un certain nombre de mesures, notamment des mesures pénales pour criminaliser les actions illégales, des mesures de contrôle des activités impliquant des matières pertinentes, des mesures de sûreté et de sécurité, et des mesures d’exécution pour faciliter la surveillance, les poursuites et les sanctions. Une base de données contenant les mesures juridiques des États parties à la CAB est disponible sur le site Web de VERTIC[1]. De même, le recueil de législation de l’OIAC fournit des exemples de législation adoptée par les États parties à la CAC.[2]

    Aperçu de la mise en œuvre législative nationale de la CAB et de la CAC

    Article IV de la CAB :

    « Chaque État partie à la présente Convention s’engage à prendre, selon les procédures prévues par sa constitution, les mesures nécessaires pour interdire et empêcher » les armes biologiques.

    Document final de la 8e Conférence d’examen, article IV, 11 :

    « La Conférence invite les États parties à adopter, conformément à leurs règles constitutionnelles, des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres, y compris une législation pénale… »

    Article VII de la CAC, Mesures d’application nationales :

    « 1. Chaque État partie adopte, conformément aux procédures prévues par sa Constitution, les mesures nécessaires pour s’acquitter des obligations qu’il a contractées en vertu de la présente Convention. En particulier :

    1. a) Il interdit aux personnes physiques et morales se trouvant en quelque lieu de son territoire ou en tout autre lieu placé sous sa juridiction telle qu’elle est reconnue par le droit international, d’entreprendre quelque activité que ce soit qui est interdite à un État partie par la présente Convention et, notamment, promulgue une législation pénale en la matière ; […]
    2. c) Il applique la législation pénale qu’il a promulgue en vertu de l’alinéa a) toute activité interdite à un État partie par la présente Convention, qui est entreprise en quelque lieu que ce soit par des personnes physiques possédant sa nationalité, conformément au droit international ».

    Le régime de la CAC, tel qu’il est mis en œuvre dans le droit national, impose un certain nombre d’obligations aux acteurs nationaux de l’industrie chimique. Les États parties à la CAC, conformément à l’article VI, s’engagent à adopter les mesures nécessaires pour s’assurer que les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs ne sont mis au point, fabriqués, acquis d’une autre manière, conservés, transférés ou utilisés sur leur territoire ou en tout autre lieu placé sous leur juridiction ou leur contrôle qu’à des fins non interdites par la présente Convention. Dans le cadre de cet engagement, les États parties à la CAC sont tenus de recueillir des informations et de soumettre des déclarations concernant certains produits chimiques toxiques, conformément à l’annexe sur la vérification. Sur la base des informations fournies par les États parties, les inspecteurs de l’OIAC inspectent ensuite les installations où ces produits chimiques sont fabriqués, traités ou consommés afin de vérifier les déclarations. Les acteurs non étatiques impliqués dans des activités impliquant certains produits chimiques toxiques doivent donc connaître la CAC et leurs obligations en vertu de la loi nationale d’application. Dans la mesure où cette législation vise à mettre en œuvre la CAC, les acteurs non étatiques impliqués dans des activités impliquant certains produits chimiques toxiques ont tout à gagner à comprendre la CAC en tant que traité international et doivent suivre les évolutions dans l’arène internationale.

    Un autre exemple important de la nécessité pour les acteurs non étatiques de s’engager dans les régimes de la CAB et de la CAC peut être démontré par un règlement récent entre le Bureau de l’industrie et de la sécurité (BIS) du département du commerce des États-Unis et l’université de Princeton, en rapport avec 37 violations présumées de la réglementation des administrations d’exportation (EAR).[3] L’EAR permet de réglementer les exportations aux États-Unis et contribue à la création de contrôles des transferts pour mettre en œuvre la CAB au niveau national.  L’université de Princeton menait des activités pacifiques, mais elle a exporté des souches et des recombinants d’agents pathogènes animaux vers des instituts de recherche de 15 pays sans les licences d’exportation requises par le BIS, car elle n’avait pas réalisé que ces activités nécessitaient une autorisation préalable. Les articles exportés figurent sur la liste de contrôle du commerce des États-Unis, qui répertorie les matériaux soumis à l’autorité du BIS en matière de licences d’exportation, en raison de craintes de prolifération à des fins d’armes biologiques. Après que les violations ont été révélées, l’université a été condamnée à une amende et a dû se soumettre à un audit de ses pratiques internes. Cette affaire démontre la nécessité pour les acteurs non étatiques, tels que les instituts de recherche, de connaître la législation nationale mettant en œuvre la CAB et la CAC, même lorsqu’ils s’engagent dans des activités impliquant des agents biologiques et des toxines à des fins pacifiques.

    Les acteurs non étatiques peuvent s’impliquer dans la CAC et la CAB de diverses manières. Par exemple, l’OIAC organise régulièrement des dialogues avec les parties prenantes de l’industrie chimique afin de discuter de la mise en œuvre de la Convention au niveau national et de sensibiliser le public.[4] Les acteurs non étatiques, tels que les groupes de la société civile, peuvent aussi parfois assister aux réunions des traités liés à la CAB et à la CAC, comme les conférences d’examen, et faire des déclarations sur des questions particulières. L’engagement au niveau national, par exemple par le biais d’une collaboration avec une autorité nationale, peut également garantir que les acteurs non étatiques sont conscients de leurs obligations. La CAB et la CAC sont des instruments internationaux importants pour les acteurs étatiques et non étatiques, et l’engagement des acteurs non étatiques à l’égard des traités est essentiel pour garantir que les produits chimiques toxiques et les agents biologiques et les toxines ne soient pas utilisés comme armes.

    [1]VERTIC, « BWC Legislation Database » (Base de données relatives à la législation CAB), consultée au lien https://www.vertic.org/programmes/nim/biological-weapons-and-materials/bwc-legislation-database/.

    [2] OIAC, « Legislation Compendium », document consulté au lien https://www.opcw.org/resources/national-implementation/legislation-compendium.

    [3] Thomas Brown, « Princeton University fined over exports of pathogens without a licence », Trust and Verify 168, `VERTIC, Été 2021, p1 0.

    [4] Actualités OIAC, « chemical industry and National Authority representatives discuss experiences of national implementation » 15 octobre 2021,document consulté au lien https://www.opcw.org/media-centre/news/2021/10/chemical-industry-and-national-authority-representatives-discuss.

  • Idée fausse n° 22: La CAB, la CAC et les régimes de contrôle des exportations qui s’appliquent visent à empêcher le transfert de technologies et à consolider un monopole dans certains États

    L’idée fausse et ses implications
    Le contrôle des transferts de matériels et technologies susceptibles de participer à la mise au point d’armes biologiques et chimiques est un élément crucial du cadre international de non-prolifération. Les cas de prolifération d’armes chimiques et biologiques illustrent l’importance des contrôles des mouvements de ces matériels et technologies. Par exemple, en décembre 2005, un tribunal néerlandais a reconnu un homme d’affaires coupable de complicité dans des crimes de guerre : dans les années 80, il avait vendu des produits chimiques au gouvernement iraqien. Le tribunal a jugé que le gaz moutarde employé dans ces crimes de guerre avait été élaboré avec les produits chimiques fournis par cet homme d’affaires, en provenance des États-Unis et du Japon et expédiés via plusieurs pays pour contrevenir aux lois sur le contrôle des exportations. Les chaînes d’approvisionnement des armes chimiques ou biologiques sont le plus souvent internationales pour faciliter l’accès aux technologies et matériels spécialisés. Les contrôles de ces éléments peuvent donc entraver les efforts des acteurs malveillants qui cherchent à participer au trafic illicite d’armes chimiques et biologiques.

    Toutefois, les discussions sur les contrôles des transferts qui ont eu lieu au cours des forums multilatéraux de la CAB et de la CAC ont souvent fait naître des tensions entre les États producteurs et exportateurs des matériels en question et les États récipiendaires.[1] Une idée fausse s’est largement répandue chez certaines parties prenantes : les contrôles des agents biologiques, toxines, produits chimiques, de leurs précurseurs ainsi que des technologies associées sont intrinsèquement discriminatoires, et certains États, généralement dotés de grandes industries biologiques ou chimiques, utilisent ces contrôles pour restreindre l’accès à ces éléments. En outre, les régimes de contrôle des exportations instaurés par les États hors des cadres de référence de la CAB et de la CAC, par exemple le Groupe Australie, « ont fait l’objet de vives critiques depuis leur instauration, pour absence de transparence, composition exclusive et effet discriminatoire présumé à l’encontre des entités non membres. »[2]

    Cette idée fausse fragilise les contrôles multilatéraux des exportations de ces matériels et technologies, et risque d’affaiblir l’engagement des principales parties prenantes envers ces régimes. Elle entrave fortement la transposition nationale des obligations internationales relatives à l’instauration de contrôles sur les transferts nationaux des matériels et technologies en question, puisque certaines parties prenantes nationales sont ainsi moins disposées à adopter les contrôles requis. Il s’agit là d’une lacune inquiétante relative aux contrôles des matériels et équipements pertinents, qui pourrait être exploitée par les acteurs malveillants pour participer au trafic illicite de matériels biologiques et chimiques et favoriser la prolifération des armes chimiques et biologiques.

    Écarter l’idée fausse
    Les contrôles des transferts sont au cœur de la CAC et de la CAB, et les États parties à ces deux conventions sont tenus de les instaurer. Exemple : l’article III de la CAB oblige tous les États parties à ne pas transférer des armes biologiques à quiconque et à ne pas aider, encourager ou inciter quiconque à les fabriquer ou les acquérir. De même, l’article I de la CAC proscrit les transferts d’armes chimiques, et interdit d’aider, d’encourager ou d’inciter quiconque à enfreindre la convention. L’article VI exige que les États parties adoptent les mesures requises pour s’assurer que les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs sont transférés à des fins exclusivement pacifiques et que les contrôles des transferts prévus dans les tableaux sont mis en œuvre. La résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (UNSCR 1540) exige également des États membres de l’ONU qu’ils instaurent des contrôles nationaux efficaces de l’exportation et du transbordement afin d’empêcher les acteurs non étatiques de faire proliférer les armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires.

    Notons toutefois que si la CAB et la CAC prévoient les contrôles pertinents des transferts, elles incluent également des dispositions de mise en perspective avec les droits des États parties en matière d’échange des matériels et technologies visés à des fins pacifiques. Par exemple, l’article III de la CAB doit s’entendre nonobstant l’article X de la convention qui privilégie les droits des États parties à participer à l’échange d’équipements, de matériels et d’informations scientifiques et technologiques sur l’utilisation des agents bactériologiques (biologiques) et toxines à des fins pacifiques. De même, l’article VI de la CAC impose d’appliquer les mesures sans entraver le développement économique et technologique des États parties et la coopération internationale dans le cadre des activités chimiques. Enfin, l’article XI de la CAC se fonde également sur ce droit des États parties. Ces instruments sont des traités multilatéraux ratifiés par quasiment tous les pays qui « tiennent compte des intérêts des pays en développement, notamment en garantissant leurs droits inaliénables à l’emploi pacifique des matériels et technologies. »[3] La généralisation de l’adhésion à d’autres régimes de contrôle des exportations comme le Groupe Australie et l’adoption de ses listes de contrôle des transferts à l’échelle nationale par certains pays expliquent également que « l’organe informel n’est plus au centre d’une controverse internationale. »[4]

    Les contrôles des transferts bénéficient indéniablement aux pays qui les appliquent. En effet, « l’établissement d’un environnement réglementaire stable peut accroître l’attraction d’investissements étrangers de haute technologie. »[5] Dans les États dépourvus de régimes stratégiques de contrôle des échanges, des groupes acteurs du commerce et de l’investissement ont appeler les gouvernements à instaurer de tels contrôles afin d’attirer les investissements.[6] Les contrôles des transferts peuvent réduire les risques et consolider la confiance, créer un environnement commercial favorable et stimuler l’investissement économique dans les États alors perçus comme des détenteurs responsables de ces matériels.[7]

    Dans l’ensemble, la prévention du transfert illicite ou non contrôlé de certains matériels et technologies associés aux activités impliquant les armes chimiques et biologiques est essentielle. L’application minutieuse et complète de la CAB, de la CAC et de la résolution 1540 (UNSCR 1540) permet aux États de satisfaire leurs obligations internationales. Parallèlement, les États sont en mesure d’échanger des équipements, des matériels et des informations scientifiques et technologiques sur l’utilisation d’agents chimiques et biologiques toxiques et de toxines à des fins pacifiques, tout en garantissant la non-prolifération des armes biologiques et chimiques.

    [1] Jenifer Mackby et Sruthi Katakam, « BWC Review Conference Dispatch: A Cliffhanger Conference Seeks to Strengthen Biological Weapons Convention », Arms Control Association, janvier/février 2023, document consulté au lien https://www.armscontrol.org/act/2023-01/arms-control-today/bwc-review-conference-dispatch-cliffhanger-conference-seeks#bio

    [2] Kolja Brockmann, « Challenges to Multilateral Export Controls: the Case for Inter-regime Dialogue and Coordination », SIPRI, décembre 2019.

    [3] Andy Rachmianto, « Indonesia’s Approach to Strategic Trade Controls: The Perspective of a Developing and Archipelagic Country » in Strategic Trade Review, Issue 2, printemps 2016, page 139.

    [4]Jean Pascal Zanders, « Chemical Weapons Convention (CWC) Article XI and the future of the CWC » in Technology Transfers and Non-Proliferation: Between control and cooperation, édité par Olivier Meier, Routledge, 2013, page 177.

    [5] « Strategic trade control outreach and industry compliance: tools and resources. » Saferworld, Centre de recherche en politique à l’université d’Albany, et Institut de la sécurité du commerce et des investissements à l’Académie chinoise de coopération internationale des échanges et de l’économie, mai 2019, page 10.

    [6] Mohamed Shahabar Abdul Kareem, « Implementation and Enforcement of Strategic Trade Controls in Malaysia » dans Strategic Trade Review, Issue 2, printemps 2016, page 107.

    7 “Resolution 1540 and the African Continental Free Trade Area: Policy options to strengthen non-proliferation controls and secure trade », UNODA et SAIIA, document consulté au lien https://front.un-arm.org/wp-content/uploads/2023/07/unoda-saiia-pb-res-unscr1540-afcfta.pdf, page 26.

  • Idée fausse n° 23: La CAB et la CAC autorisent les armes biologiques et chimiques pour certains États

    L’idée fausse et ses implications
    Au cours des ateliers organisés par VERTIC pour sensibiliser les parties prenantes nationales aux conventions sur les armes chimiques et biologiques, certains participants ont suggéré qu’au titre de ces conventions, certains États étaient autorisés à posséder des armes chimiques et biologiques.

    Cette idée fausse vient peut-être d’une confusion avec le régime de non-prolifération nucléaire et son instrument fondateur, le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) qui différencie les États disposant d’une arme nucléaire de ceux qui disposent d’armes non nucléaires. En vertu du TNP, les obligations de non-prolifération des États disposant d’armes nucléaires[1] diffèrent de ceux qui disposent d’armes non nucléaires qui y renoncent quand ils adhèrent au traité. Mais le sens de la CAB et de la CAC est différent et ces conventions disposent que tous les États parties sont contraints par les mêmes obligations de non-prolifération.

    Il est également possible que l’idée fausse selon laquelle certains États sont libres de posséder des armes biologiques et chimiques soit née de la formulation et du champ d’application de la CAB et de la CAC. Par exemple, l’article I de la CAB définit les armes biologiques comme « [les] agents microbiologiques ou autres agents biologiques, ainsi que [les] toxines quels qu’en soient l’origine ou le mode de production, de types et en quantités qui ne se sont pas destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins pacifiques ». De même, le paragraphe 9 de l’article II de la convention fait référence aux « fins non interdites » dont certaines ont trait à des fins protectrices, militaires et de maintien de l’ordre public.  Le lecteur non avisé pourrait en conclure que les armes biologiques et chimiques sont autorisées pour certains États, voire tous. Cette idée aurait un effet dévastateur sur l’objet et l’objectif des traités visant à interdire définitivement ces armes.

    Écarter l’idée fausse
    Les interdictions relatives aux armes biologiques prévues à l’article I de la CAB et aux armes chimiques à l’article I.1(a) de la CAC s’applique à chaque partie aux conventions. Aucune des conventions ne différencie les États parties : les interdictions d’armes biologiques et chimiques s’appliquent à tous sans exception et de manière absolue.

    Les fins qui ne sont pas proscrites aux termes de la convention sur les armes chimiques y sont définies et ne constituent pas des exceptions à l’interdiction d’armes chimiques. Elles incluent, entre autres, des fins pacifiques relatives à l’industrie, l’agriculture, la recherche, la médecine ou au secteur pharmaceutique. Il s’agit, par exemple des fins protectrices en rapport direct avec la protection contre les produits chimiques toxiques et contre les armes chimiques, comme la mise au point d’équipements de protection individuelle. Comme indiqué dans le commentaire de la CAC, « les États parties doivent être autorisés à poursuivre leurs activités relatives à la défense contre la guerre chimique afin de rassurer comme il se doit quant aux désistements d’adhésion aux régimes ou à l’éventualité que certains États dotés de capacités de guerre chimique ne rejoignent pas la Convention. »[2] Il est donc possible de produire, d’acquérir, de conserver, de transférer ou d’utiliser des produits chimiques cités au tableau 1 à des fins de protection. Il est toutefois impératif de limiter les types et quantités de produits chimiques au strict nécessaire à ces fins, sous réserve des contrôles stipulés dans l’annexe sur la vérification. En outre, dans un souci de transparence, le paragraphe 4 de l’article X de la convention impose à chaque État partie de fournir des informations sur son programme de protection au secrétariat technique, et ce chaque année.

    Par ailleurs, les fins militaires sans rapport avec l’emploi d’armes chimiques et qui ne sont pas tributaires de l’exploitation des propriétés toxiques de produits chimiques comme moyen de guerre, ne sont pas interdites. Par exemple, sont exclus « les produits chimiques explosifs, les carburants pour fusées, les produits incendiaires, dégageant du la fumée et autres du champ d’application de la convention, même si certains sont des produits chimiques toxiques. » [3]

    La dernière catégorie des fins non interdites concerne le maintien de l’ordre public, y compris les agents antiémeute. Toutefois, chaque État partie s’engage à ne pas employer d’agents de lutte antiémeute comme moyens de guerre. Comme indiqué dans l’idée fausse no 8, « les agents antiémeute, bien qu’étant des produits chimiques toxiques, ne constituent pas des armes chimiques en cas de non-utilisation comme armes de guerre ou à des fins interdites par la convention », dès lors qu’ils sont employés selon des types et quantités appropriés. Les agents de lutte antiémeute sont visées au paragraphe 1, alinéa E de l’article III de la convention. Cet article stipule que sous 30 jours après l’entrée en vigueur de la convention dans un État partie, ce dernier est tenu de soumettre à l’OIAC une déclaration relative aux agents de lutte antiémeute. Pour chaque produit chimique en sa possession à des fins antiémeute, cette déclaration doit préciser : le nom chimique, la formule structurelle et le numéro d’enregistrement auprès de la banque de données du Chemical Abstracts Service (CAS) le cas échéant. Cette déclaration doit être actualisée au plus tard 30 jours après l’entrée en vigueur d’un changement éventuel.

    Contrairement à la CAC, la CAB ne définit pas et n’énumère pas les fins non interdites sous son régime, même si l’article I définit les armes biologiques sur la base des fins d’emploi. Cela risque de semer la confusion sur ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas, notamment dans le cas de la recherche et du développement en matière de défense biologique (voir également l’idée fausse no 3). Si la convention interdit strictement la mise au point d’armes biologiques, les programmes relatifs aux activités de défenses sont autorisés. « Pour accroître la transparence des programmes nationaux de recherche-développement en matière de défense biologique », les États parties à la CAB ont convenu au cours de la troisième Conférence d’examen des mesures de confiance, de déclarer s’ils exécutent ou non de tels programmes, et dans l’affirmative, de fournir des informations détaillées.[4] Il est également important d’instaurer des mesures nationales adéquates pour contrôler ces recherches, par exemple évaluations des risques de la recherche à double usage et autres mesures en prévention d’une utilisation abusive.[5]

    Les États en possession d’armes biologiques ou chimiques acceptent d’y renoncer lors de leur adhésion à la CAB et la CAC. Ils sont ensuite soumis aux dispositions des conventions relatives à la destruction des stocks existants et aux contrôles des agents biologiques et des produits chimiques.

    Dispositions sur la destruction des armes biologiques et chimiques
    Article II de la CAB. Chaque État partie à la présente Convention s’engage à détruire ou à convertir à des fins pacifiques, aussi rapidement que possible et en tout cas pas plus tard que neuf mois après l’entrée en vigueur de la Convention, tous les agents, toxines, armes, équipements et vecteurs dont il est question dans l’article premier de la Convention qui se trouvent en sa possession ou sous sa juridiction ou son contrôle. Lors de l’exécution des dispositions du présent article, il y aura lieu de prendre toutes les mesures de précaution nécessaires pour protéger les populations et l’environnement.
    Article I.2 de la CAC. Chaque État partie s’engage à détruire les armes chimiques dont il est le propriétaire ou le détenteur, ou qui se trouvent en des lieux placés sous sa juridiction ou son contrôle, conformément aux dispositions de la présente Convention. 3. Chaque État partie s’engage à détruire toutes les armes chimiques qu’il a abandonnées sur le territoire d’un autre État partie, conformément aux dispositions de la présente Convention. 4. Chaque État partie s’engage à détruire toute installation de fabrication d’armes chimiques dont il est le propriétaire ou le détenteur, ou qui se trouve en un lieu placé sous sa juridiction ou son contrôle, conformément aux dispositions de la présente Convention. 

    La destruction des armes chimiques fait l’objet de la procédure de vérification détaillée dans l’annexe à la convention. Le 7 juillet 2023, l’OIAC a confirmé avoir vérifié que tous les stocks d’armes chimiques déclarés étaient irrémédiablement détruits.[6]

    Le régime de la CAB ne prévoit aucune vérification, mais certains États parties ont publié des déclarations au titre de l’article II de la convention. Par exemple, les États-Unis ont déclaré que tous leurs « stocks d’agents, de toxines, d’armes, d’équipements ou de vecteurs interdits en vertu de l’article premier étaient détruits avant la date limite stipulée à l’article II. En janvier 1976, tous les responsables des agences et départements fédéraux ont certifié au président qu’à la date limite (26 décembre 1975), leurs agences et départements respectifs étaient en totale conformité avec la convention. »[7] En outre, la soumission du formulaire F des mesures de confiance couvre la déclaration des activités menées par le passé dans les programmes de recherche et développement biologique offensifs ou défensifs. Elle doit inclure un résumé des activités de recherche et développement indiquant si les travaux réalisés concernaient la production, les tests et l’évaluation, la militarisation, le stockage des agents biologiques, le programme de destruction de ces agents et armes, ainsi que les recherches connexes. Par exemple, le Royaume-Uni a indiqué être « doté d’un programme modeste visant à fournir une capacité de rétorsion en nature (représailles en nature) si les forces britanniques étaient attaquées par des armes biologiques, lancé en 1940 et clôturé à la fin des années 50. »[8]

    En adhérant à la CAB et à la CAC, tous les États renoncent de fait aux armes biologiques et chimiques, et s’engagent à détruire celles qu’ils auraient mises au point avant leur adhésion.

    [1] Voir l’article IX(3) du TNP « … Aux fins du présent Traité, un État doté d’armes nucléaires est un État qui a fabriqué et a fait exploser une arme nucléaire ou un autre dispositif nucléaire explosif avant le 1er janvier 1967. »

    [2] « Commentaire CAB », page 93.

    [3] « Commentaire CAB », page 93.

    [4] Voir le formulaire A (partie 2) des mesures de confiance, disponible ici : https://disarmament.unoda.org/biological-weapons/confidence-building-measures. Pour consulter un exemple de la formule, voir la Suisse, ici : https://bwc-ecbm.unog.ch/state/switzerland.

    [5]Filippa Lentzos, « How do we control dangerous biological research? », Bulletin of the Atomic Scientists, 12 avril 2018, consulté au lien https://thebulletin.org/2018/04/how-do-we-control-dangerous-biological-research/.

    [6] OIAC, « OPCW confirms: All declared chemical weapons stockpiles verified as irreversibly destroyed”, 7 juillet 2023, consulté au lien https://www.opcw.org/media-centre/news/2023/07/opcw-confirms-all-declared-chemical-weapons-stockpiles-verified

    [7] Background Document on compliance by states parties with all their obligations under the Convention on the prohibition of the development, production and stockpiling of bacteriological (biological) and toxin weapons and on their destruction, Addendum, submitted to the Second Review doc. BWC/CONF.II/3/Add.4, Conférence des parties au CAB, 8 septembre 1986, p. 3. Voir aussi, plus récemment [en anglais uniquement] : Compliance by States Parties with all their obligations under the Convention Background information document submitted by the Implementation Support Unit, BWC/CONF.IX/4, 14 décembre 2022, pp. 88-89.

    [8] Voir la soumission des MDC du Royaume-Uni pour 2023, sur le site https://bwc-ecbm.unog.ch/united-kingdom-great-britain-and-northern-ireland/bwccbm2023unitedkingdom.

  • Idée fausse n° 24: Pour la recherche, les toxines et agents biologiques peuvent être utilisés et transférés sans restriction

    L’idée fausse et ses implications
    Quand ils prennent connaissance du régime de la CAB, les scientifiques et les universitaires impliqués dans des activités relatives aux toxines et agents biologiques ont parfois l’impression que ce régime ne s’applique pas à eux. Certains pensent que le contenu et la dissémination de leur recherche à des fins pacifiques ne sont soumis à aucun contrôle, en vertu du principe de la liberté académique. En effet, les actions de VERTIC menées auprès des membres de la communauté des sciences du vivant mettent en évidence la méconnaissance du double usage de leurs travaux et des restrictions légales qui s’appliquent à l’utilisation et au transfert des toxines et agents biologiques.

    Le 13 décembre 2022, VERTIC a organisé un événement sur les idées fausses qui entourent la Convention sur les armes biologiques, en parallèle à la neuvième Conférence d’examen de la CAB, avec des intervenants du gouvernement du Royaume-Uni, de la Foundation for Strategic Research et de l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement. Là, l’un des thèmes émergents était que les scientifiques ignoraient souvent l’existence du double usage de la recherche scientifique. Il a été noté que l’engagement sur cette question était entravé par : une méconnaissance des problèmes de sécurité ou une volonté de ne pas y réfléchir, une inquiétude quant aux nouvelles charges réglementaires, ou un malentendu selon lequel cette question concerne uniquement les laboratoires publics.

    Cette idée fausse peut avoir des conséquences néfastes. Les chercheurs sont parfois perçus comme un maillon faible dans le dispositif de non-prolifération, vulnérables face aux acteurs malveillants. Cette idée fausse peut aussi conduire les chercheurs principaux à enfreindre accidentellement leurs obligations légales en lien avec les contrôles nationaux des toxines et agents biologiques, comme les mesures d’octroi de licences dans le cadre des contrôles des transferts.

    Écarter l’idée fausse
    La notion de « recherche duale préoccupante » [DURC] fait référence à une recherche présentant des avantages potentiels, mais qui pourrait aisément être mal appliquée de façon à nuire.[1] La recherche scientifique à des fins pacifiques est donc souvent soumise à des contrôles nationaux visant à évaluer les risques de double usage et à exclure d’autres usages.

    En tant que principal instrument juridique international proscrivant les armes biologiques, la CAB s’applique parfaitement à la recherche biologique duale préoccupante. Comme indiqué dans l’idée fausse no 3, les activités impliquant des agents biologiques et des toxines à des fins prophylactiques, protectrices ou autres fins pacifiques ne constituent pas une violation de la CAB, et la convention vise à faciliter ces activités. Les contrôles de biosûreté et de biosécurité font partie de l’application de la CAB[2], et peuvent inclure, par exemple : des mesures justifiant et assurant le maintien d’activités impliquant certaines toxines et certains agents biologiques, des évaluations des risques, des procédures d’autorisation et des réglementations de l’ingénierie génétique. Dans de nombreux États, il persiste toutefois certaines lacunes dans la législation nationale relative à ces contrôles, synonymes d’un risque significatif. En outre, les mouvements d’une DURC ont des conséquences en matière de transfert. En effet, le partage transfrontalier de matériel ou de recherches peut constituer une exportation contrôlée relevant de la législation sur le contrôle des exportations en application de la CAB.

    Exemple bien connu de conséquences légales de la DURC : le cas du professeur Ron Fouchier, scientifique néerlandais qui s’est penché sur la transmission de virus H5N1 (grippe aviaire) entre les mammifères par voie aérienne, en 2012.[3] Le professeur Fouchier souhaitait publier ses travaux de recherche dans une revue américaine à comité de lecture (Science), mais après examen de cette exportation à double usage, le gouvernement néerlandais a exigé qu’il demande une licence d’exportation. Ce fut le « premier cas en Europe où un permis d’exportation est exigé avant la soumission d’un manuscrit à un journal international (Science) en vue d’une publication. »[4]  Le professeur Fouchier a donc déposé une demande de licence d’exportation tout en protestant vivement contre cette exigence. La licence lui a été octroyée en vertu de la législation sur le contrôle des exportations en conformité avec le règlement européen concernant les biens à double usage.[5]

    Par la suite, le professeur Fouchier a contesté la nécessité de demande d’une licence d’exportation devant les tribunaux néerlandais.[6] En septembre 2013, le tribunal de Haarlem a jugé que la demande était justifiée en vertu de la législation applicable. En 2015, la cour d’appel d’Amsterdam a rejeté le recours et annulé la décision rendue en 2013 au fondement que le professeur Fouchier s’était déjà vu octroyer une licence et n’avait donc souffert aucun préjudice justifiant un recours.[7] Dans l’ensemble, l’affaire Fouchier illustre le risque de prolifération associé à la recherche. La recherche à des fins pacifiques peut néanmoins être considérée comme une DURC du fait de son potentiel d’application abusive à des fins nuisibles. Puisqu’il est difficile d’affirmer une intention, dans de nombreux systèmes judiciaires, certains agents biologiques, toxines et équipements et technologies connexes sont soumis à des contrôles comme l’octroi préalable de licences, pour aider les États à évaluer les risques avant le transfert des matériels et à prendre des décisions au vu des parties impliquées.

    Un cas similaire concernant le mouvement de matériels à double usage s’est produit aux États-Unis. Pour en savoir plus, voir l’idée fausse no 23 et les détails du règlement entre le Bureau de l’industrie et de la sécurité (BIS) du département du commerce des États-Unis et l’université de Princeton en rapport avec 37 violations présumées de la réglementation des administrations d’exportation (EAR). Là encore, il est évident que les articles en question (souches et recombinant d’agents pathogènes animaux) étaient transférés à des fins pacifiques, mais qu’ils nécessitaient une autorisation (préalable) du BIS à cause de leur double usage potentiel.

    Il est donc clair que les chercheurs qui travaillent sur des agents biologiques, toxines et matériels connexes à double usage sont soumis à la CAB et à la législation qui la transpose. Toutefois, comme indiqué ci-dessus, nombre d’entre eux ne sont pas au fait de la CAB et des cadres de référence pertinents en dépit de leur importance dans ce domaine. Le renforcement de la coopération entre les praticiens est donc essentiel à l’application de la CAB.

    La Conférence d’examen a bien pris bonne note de l’importance d’impliquer les scientifiques dans la mise en œuvre nationale de la CAB (article IV). La huitième conférence d’examen de la convention a enregistré la valeur des mesures d’application nationales afin de :

    « (b) Amener à réfléchir aux dispositions à prendre pour mieux sensibiliser les professionnels des secteurs privé et public concernés,
    ce pour l’ensemble des activités scientifiques et administratives pertinentes ;
    (c) Mieux faire connaître les obligations qui incombent aux États parties au titre de la Convention ainsi que les lois et les directives nationales pertinentes aux personnes qui travaillent dans le domaine des sciences biologiques ;
    (d) Faciliter l’élaboration de programmes de formation et d’éducation à l’intention des personnes autorisées à accéder à des agents biologiques et à des toxines ayant un rapport avec la Convention ainsi que des personnes ayant les connaissances ou les capacités nécessaires pour modifier ces agents et toxines ;
    (e) Inciter à promouvoir une culture de la responsabilité auprès des professionnels nationaux concernés, et encourager la mise au point, l’adoption et la promulgation à titre volontaire de codes de conduite ; »[8]

    Les scientifiques pensent rarement aux armes biologiques quand ils mènent leurs recherches sur des toxines et agents biologiques. Et pourtant, ces recherches et les matériels connexes sont souvent à double usage et doivent donc faire l’objet de contrôles afin d’empêcher la prolifération des armes biologiques. Il est crucial d’appliquer de manière exhaustive la convention sur les armes biologiques, notamment via la création de contrôles de transfert et de mesures de biosûreté et biosécurité, pour gérer de tels risques. Les chercheurs doivent s’assurer que leurs travaux ne contribuent pas à la prolifération des armes biologiques. Les États doivent pour leur part veiller à l’adéquation des cadres de contrôles afin de facilité les progrès scientifiques tout en garantissant la non-prolifération des armes biologiques. À cet égard, les dispositifs d’amélioration des connaissances des scientifiques auront leur rôle à jouer pour s’assurer que ces derniers connaissent le risque de double usage de leurs travaux et leurs obligations légales.[9]

    [1] OMS, « What is dual-use research of concern? » 13 décembre 2020, consulté au lien https://www.who.int/news-room/questions-and-answers/item/what-is-dual-use-research-of-concern.

    [2] Voir le site VERTIC, « National Implementation Measures » consulté au lien https://www.vertic.org/programmes/nim/biological-weapons-and-materials/export-control/

    [3] Voir Meghan Brown, « Avian influenza puts spotlight on dual-use research concerns », Trust & Verify No 137, VERTIC, avril – juin 2012 et Yasemin Balci, « Putting legislation to the test: a H5N1 virus case-study », Trust & Verify No 138, VERTIC, juillet – septembre 2012.

    [4] Christian Enemark. « Influenza Virus Research and Eu Export Regulations: Publication, Proliferation, and Pandemic Risks », Med Law Rev, mai 2017; 25(2):293-313.

    [5] RÈGLEMENT (CE) No 428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage (refonte)

    [6] Voir Christos Charatsis, « Setting the Publication of «Dual-use Research» Under the Export Authorisation Process: The H5N1 Case », Strategic Trade Review, Volume 1, Issue 1, page 56.

    [7] Voir Christian Enemark. « Influenza Virus Research and Eu Export Regulations: Publication, Proliferation, and Pandemic Risks », Med Law Rev, mai 2017; 25(2):293-313.

    [8] Huitième Conférence d’examen des États parties à la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, Document final de la huitième Conférence d’examen, article IV.

    [9] Voir, par exemple, Tatyana Novossiolova, Simon Whitby, Malcolm Dando, Lijun Shang : « Strengthening biological security after COVID-19: Using cartoons for engaging life science stakeholders with the Biological and Toxin Weapons Convention (BTWC) ». Journal of Biosafety and Biosecurity, Volume 4 Issue 1, juin 2022, 68-74.

  • Idée fausse n° 25: La CAB et la CAC n’interdisent pas les activités terroristes avec des armes chimiques et biologiques

    L’idée fausse et ses implications:
    Les faits récents, comme l’emploi d’armes chimiques par l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL/Daech)[1] ont recentré l’attention du monde sur la menace que posent les armes biologiques et chimiques mises au point ou utilisées par des terroristes. L’idée fausse selon laquelle la CAB et la CAC n’interdisent pas les activités des terroristes avec des armes chimiques ou biologiques provient peut-être du fait que si ces deux conventions interdisent les activités avec des armes chimiques et biologiques quelles que soient les circonstances, elles ne font pas explicitement référence au terrorisme. Il est également possible que cette idée fausse découle d’un malentendu selon lequel les deux conventions s’appliquent uniquement aux États et ne couvrent pas les acteurs non étatiques (voir l’idée fausse no 21 à cet égard).

    Cette idée fausse pourrait laisser croire que la CAB et la CAC présentent des lacunes concernant le terrorisme chimique et biologique, ou qu’elles ne permettent pas de gérer les préoccupations ou incidents y afférents. Elle pourrait également semer la confusion parmis les États parties quant à leurs obligations d’application nationale de ces traités, notamment l’obligation de promulguer une législation pénale nationale efficace qui couvrirait les actes relatifs aux activités terroristes avec des armes chimiques et biologiques.

    L’idée fausse selon laquelle la CAB et la CAC n’interdisent pas les activités menées par des terroristes et impliquant des armes de ce type risque de fragiliser la confiance et l’adhésion à ces régimes internationaux.

    Écarter l’idée fausse:
    L’article I de la CAB interdit aux États parties de mettre au point, fabriquer, stocker ou acquérir d’une manière ou d’une autre ou de conserver des armes biologiques, de quelque façon que ce soit et quelles que soient les circonstances, cette interdiction s’appliquant également aux équipements et vecteurs associés. L’article premier de la CAC contient une disposition similaire interdisant aux États parties l’utilisation, la mise au point, la fabrication ou l’acquisition d’une manière ou d’une autre, le stockage ou la conservation ou le transfert d’armes chimiques quelles que soient les circonstances. De plus, dans l’article III de la CAB, les États parties s’engagent à ne pas transférer à quiconque, étant entendu que l’article I de la CAC interdit le transfert d’armes biologiques à « qui que ce soit ».

    Les deux conventions exigent également des États parties qu’ils promulguent une législation nationale transposant les traités. L’article IV de la CAB exige que les États parties prennent « les mesures nécessaires pour interdire et empêcher » les activités proscrites à l’article premier, « sur le territoire d’un tel État, sous sa juridiction ou sous son contrôle en quelque lieu que ce soit. » De même, l’article VII de la CAC exige que chaque État partie adopte les mesures nécessaires et interdise « aux personnes physiques et morales se trouvant en quelque lieu de son territoire ou en tout autre lieu placé sous sa juridiction […] d’entreprendre quelque activité que ce soit qui est interdite à un État partie par la présente Convention et, notamment, promulgue une législation pénale en la matière. » Les conférences d’examen suivantes de la CAB ont également souligné la nécessité de promulguer une législation pénale appropriée à l’application exhaustive de la convention.[2] Les acteurs terroristes comptent donc parmi les personnes physiques et morales visées par les interdictions et les pénalités prévues dans la législation nationale transposant la CAB.

    Ensemble, ces dispositions prévoient l’interdiction de plusieurs activités relatives aux armes chimiques et biologiques et l’obligation d’adopter une législation nationale qui criminalise ces activités. Elles sont ainsi garantes de la prohibition effective et efficace d’activités en rapport avec les armes quel que soit le contexte, y compris le terrorisme. Il est essentiel que les États parties promulguent une législation appropriée permettant d’appliquer de manière efficace et exhaustive toutes les obligations prévues dans les conventions, afin de contrôler l’accès à ces matériels et de pouvoir empêcher les activités interdites, enquêter à leur sujet et entamer des poursuites à cet égard.

    Un cas de possession d’une arme biologique en Allemagne illustre comment, en appliquant les dispositions de la CAB, les autorités allemandes ont pu enquêter sur plusieurs infractions commises par un couple marié résidant à Cologne envisageant de libérer la toxine ricine dans le cadre d’une attaque terroriste et à inculper le couple en question. Pendant le procès de l’époux, le tribunal a jugé qu’il avait tenté de se rendre en Syrie pour rejoindre EIIL/Daech, et qu’une organisation médiatique proche du groupe lui avait communiqué des instructions sur l’obtention de la ricine à partir de graines de ricin. Finalement, le tribunal a jugé cet homme coupable de préparation d’infraction violente grave envers l’État en vertu de la section 89a (paragraphe 2a) du code pénal [Allemagne], et de fabrication délibérée d’une arme biologique en vertu de la section 20 (paragraphe 1) de la loi sur les armes [Allemagne], avant de le condamner à 10 ans de prison. C’est un autre pays qui a mis la police allemande sur cette piste, ce qui illustre l’importance de la coopération judiciaire internationale dans la lutte contre la criminalité transnationale.

    Pour en savoir plus, voir le rapport de VERTIC sur l’application judiciaire de la législation transposant la CAB et la CAC de Thomas Brown [en anglais uniquement].[3]

    L’OIAC a constitué un Groupe de travail à composition non limitée sur le terrorisme (Open-Ended Working Group on Terrorism, OEWG-T) pour se pencher spécifiquement sur les enjeux du terrorisme chimique. Dans son rapport, l’OEWG-T reconnaît que « la criminalisation des activités interdites par la Convention, comme le stockage, la mise au point et l’acquisition d’une arme chimique, est un élément clé dans la prévention de l’utilisation d’une arme chimique par un acteur non étatique ». Il précise en outre que, « étant donnée la nature transnationale de la menace terroriste, une législation pénale relative à ces activités doit être en vigueur et effective dans tous les États parties ». L’OEWG-T se préoccupe également des méthodes d’amélioration de la sécurité chimique dans des activités comme la recherche, la fabrication et l’élimination des déchets chimiques afin d’empêcher le terrorisme chimique.[4]

    D’autres instruments juridiques internationaux visant la menace de terrorisme chimique et biologique viennent aussi étayer la CAB et la CAC. En particulier la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 28 avril 2004 au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sont juridiquement contraignantes pour tous les États membres. Comme l’indique VERTIC, « La résolution 1540 répond à la menace pour la paix et la sécurité internationale causée par la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques, ainsi que leurs vecteurs, à des acteurs non étatiques. »[5] La résolution vise à traiter cette menace en exigeant des États qu’ils adoptent et appliquent des lois nationales interdisant certaines activités ainsi que la tentative, la complicité, l’assistance et le financement des activités interdites. Les États doivent en outre instaurer une réglementation qui couvre les matériels, les équipements et les technologies connexes. La résolution 1540 vient compléter la CAB et la CAC ainsi que d’autres traités internationaux de désarmement, et elle stipule que ses dispositions ne viennent pas contredire ou altérer les droits et obligations des États parties à ces traités.

    Il existe également d’autres instruments juridiques en la matière, notamment la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif (1997). Le traité est aussi axé sur la prévention des actes terroristes et la poursuite et les sanctions des auteurs. Sa définition d’un « engin explosif ou autre engin meurtrier » vise les toxines et agents biologiques ainsi que les produits chimiques toxiques. D’autres traités relatifs à l’aviation civile et à la navigation maritime, comme la Convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale (2010) et la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime (modifiée par le Protocole de 2005), contiennent eux aussi des dispositions relatives au terrorisme chimique et biologique. Les États trouveront peut-être utile d’imposer les obligations pertinentes prévues dans ces instruments juridiques, en complément de leurs obligations en vertu de la CAB et de la CAC, pour interdire efficacement les activités connexes au terrorisme chimique et biologique.

    [1] « Daech aurait mené au moins 13 attaques à l’arme chimique en Irak, selon l’équipe d’enquête de l’ONU », ONU Info, 8 juin 2023, consulté au lien https://news.un.org/fr/story/2023/06/1135992.

    [2] Huitième Conférence des États parties chargée de l’examen de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, BWC/CONF.VIII/4, page 12. 2017.

    [3] Thomas Brown, « Judicial Enforcement of BWC and CWC Implementing Legislation », VERTIC Brief no 34, 16 février 2022, https://www.vertic.org/wp-content/uploads/2022/02/VERTIC-Brief-34_TB_final.pdf.

    [4] Voir, par exemple le rapport sur le terrorisme délivré par l’ambassadeur Vusimuzi Philemon Madonsela, président du Groupe de travail à composition non limitée, pour le Conseil exécutif, lors de sa 103e session, EC-103/WP.3, 11 juillet 2023.

    [5] VERTIC, « Mesures de mise en œuvre nationale de la résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (2004) »

    Fiche technique 6, février 2018 (rév.), document consulté au lien https://www.vertic.org/media/assets/nim_docs/NIM%20Tools%20(Factsheets)/FS6_UNSCR_FR_FEB_2018.pdf

  • Idée fausse n° 26: L’OIAC a maintenant rempli son mandat selon lequel tous les stocks d’armes chimiques déclarés par les États parties ont été détruits

    L’idée fausse et ses implications
    Le 7 juillet 2023, l’OIAC a confirmé avoir « vérifié que la dernière arme chimique des stocks déclarés par tous les États parties à la Convention sur les armes chimiques (CAC) a été détruite. »[1] Ce moment a marqué une étape significative pour le CAC, garantissant l’accomplissement de l’un des objectifs fondamentaux du traité.

    Toutefois, ces dernières années, avec le ralentissement des travaux de l’OIAC relatifs à la destruction des stocks déclarés, certains acteurs ont commencé à remettre en question la pertinence de l’OIAC dans la phase post-destruction. Certaines parties prenantes ont l’impression que l’OIAC a « fait son travail » et n’a plus vraiment son rôle à jouer après la destruction de toutes les armes chimiques déclarées. Cette idée fausse est issue d’un malentendu au sujet du mandat ou des objectifs de l’OIAC et de son rôle dans l’application de la convention.

    Elle peut avoir des conséquences néfastes. Par exemple, elle peut limiter l’engagement auprès de l’OIAC et dévaloriser la CAC dans le cadre des priorités des États. De plus, les États sont moins disposés à participer au financement nécessaire de l’OIAC s’ils estiment que l’organisation est moins pertinente.

    Écarter l’idée fausse
    On peut faire valoir que tous les stocks déclarés d’armes chimiques ayant été détruits, la CAC « n’est plus un instrument de désarmement et devient un instrument dont l’une des grandes ambitions est d’empêcher la réémergence des armes chimiques »[2] et que l’axe de travail de l’OIAC sera ajusté sur cette base. N’oublions pas toutefois que, comme indiqué dans l’idée fausse no 10 et en vertu de l’article VIII(A)(1) de la CAC, les États parties ont fondé l’OIAC pour réaliser l’objet et le but de la Convention, assurer la mise en œuvre de ses dispositions, notamment celles relatives à la vérification internationale du respect de la convention, et créer une plate-forme de consultation et de coopération entre les États parties. Il est donc évident que le rôle de l’OIAC s’étend au-delà du soutien, de l’organisation et de la vérification de la destruction des stocks déclarés.

    L’OIAC continuera à jouer un rôle crucial pour évaluer l’exécution des obligations des États parties prévues à l’article VII de la CAC. En vertu de cet article, tous les États parties sont tenus d’adopter les mesures nécessaires pour s’acquitter des obligations que leur impose la Convention, notamment une législation pénale appropriée. Ils doivent ensuite informer l’OIAC desdites mesures. L’article VI exige en outre des États parties qu’ils adoptent les mesures nécessaires pour s’assurer que les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs sont uniquement mis au point, fabriqués, acquis d’une manière ou d’une autre, conservés, transférés ou utilisés à des fins pacifiques sur leur territoire ou en tout autre lieu placé sous leur juridiction ou leur contrôle. Les États parties doivent ainsi réglementer et superviser les activités impliquant les produits chimiques visés aux tableaux 1, 2 et 3 de l’annexe de la CAC sur les produits chimiques.[3] Les dernières données de l’OIAC mettent toutefois en évidence les lacunes significatives qui persistent dans l’application de la législation nationale des États parties. En effet, 71 États parties n’ont pas encore adopté les mesures législatives minimales pour transposer la convention, soit une lacune considérable dans le régime de la CAC. Combler cette lacune permettra de s’assurer que les contrôles nécessaires sont établis sur les activités impliquant des produits chimiques toxiques à l’échelle nationale, afin d’empêcher la ré-émergence et l’emploi d’armes chimiques.

    Notons également qu’il persiste des lacunes concernant l’universalisation de la CAC. Alors que ce document est rédigé, quatre États n’ont pas encore adhéré à la convention. Les activités impliquant des produits chimiques toxiques dans ces États ne sont donc pas réglementées par le régime de la CAC. L’OIAC et d’autres parties prenantes auront donc pour mission de continuer à soutenir l’universalisation de la CAC. Le mandat de désarmement de l’OIAC pourrait aussi être pertinent lors de l’adhésion de ces États à la convention.

    La croissance de l’industrie chimique se poursuit dans le monde entier, en volume et complexité, et les produits chimiques toxiques occupent une place grandissante dans les activités quotidiennes ; ces mesures de contrôle sont donc cruciales. Les fonctions d’inspection et de vérification de l’OIAC qui sont soulignées dans l’annexe de vérification de la CAC facilitent la réglementation des activités impliquant certains produits chimiques toxiques et permettent de s’assurer que les États réalisent des activités autorisées en vertu de la convention. La création du nouveau laboratoire de l’OIAC, le ChemTech Centre, renforcera la position de l’organisation à cet égard. Ce centre permet à l’OIAC de se tenir à jour des menaces existantes, de tenir lieu de banque de connaissances pour contrer les menaces chimiques, de réaliser des activités de recherche pour intensifier les activités de vérification en lien avec la CAC, et d’aider les États membres.[4]

    Enfin, quel que soit le stade de destruction, des exemples récents d’utilisation d’armes chimiques au cours des dix dernières années en République arabe syrienne, en Malaisie, en Allemagne et au Royaume-Uni illustrent la menace résiduelle d’emploi d’armes chimiques. L’OIAC est chargée de répondre à l’utilisation d’armes chimiques conformément à la convention, par exemple la disposition d’assistance d’urgence (article X) et l’investigation de l’utilisation d’armes chimiques conformément aux procédures visées aux articles IX et X. En réponse aux allégations d’emploi d’armes chimiques dans le conflit qui a éclaté en République syrienne arabe, l’OIAC a entrepris plusieurs activités notables, par exemple : missions d’établissement des faits, dispositif d’investigation conjoint et création d’une nouvelle équipe d’investigation et d’identification.[5] Par conséquent, l’OIAC jouera certainement un rôle essentiel dans la riposte à l’emploi futur d’armes chimiques, aux côtés d’autres initiatives pertinentes comme le Mécanisme permettant au Secrétaire général des Nations Unies d’enquêter sur les allégations d’emploi d’armes chimiques et biologiques. La situation en Syrie est aussi un exemple de menace significative avec des acteurs non étatiques qui cherchent à utiliser des armes chimiques, comme mis en évidence par l’allégation d’emploi d’armes chimiques par EIIL/Daech.[6] Les travaux sans relâche de l’OIAC sont essentiels pour contrer cette menace. Par exemple : le travail de la mission d’établissement des faits de l’organisation qui se penche sur l’emploi de produits chimiques toxiques comme des armes en Syrie, et enquête sur les allégations d’emploi impliquant des acteurs non étatiques.[7]

    Dans l’ensemble, la CAC et l’OIAC, en tant qu’entités chargées de faire appliquer la convention, demeurent pertinentes même si l’on peut se réjouir de la destruction complète des stocks déclarés. L’organisation « doit rester le référentiel mondial des connaissances et de l’expertise en matière de désarmement chimique et de vérification de non-possession et non-emploi d’armes chimiques, et demeurer une banque de connaissances sur leur destruction. »[8] Ses travaux sont toujours essentiels pour empêcher que soient menées des activités impliquant des armes chimiques dans le monde entier, et les parties prenantes doivent maintenir leur engagement envers l’OIAC pour renforcer l’application de la CAC et veiller à la poursuite de l’objectif fondateur du traité, à savoir garantir un monde sans armes chimiques.

    [1]OIAC, « OPCW confirms: All declared chemical weapons stockpiles verified as irreversibly destroyed”, 7 juillet 2023, consulté au lien https://www.opcw.org/media-centre/news/2023/07/opcw-confirms-all-declared-chemical-weapons-stockpiles-verified

    [2] Richard Guthrie, « Post-destruction era compliance under the CWC”, in The future of the CWC in the post-destruction phase, ISS Report no 15, mars 2015, page 28.

    [3] VERTIC, « Mesures de mise en œuvre nationale de la convention de 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction (CAC) », fiche technique 8, avril 2021 (rév.), document consulté au lien https://www.vertic.org/wp-content/uploads/2021/05/FS8_CWC_FR_APR_2021.pdf.

    [4] Voir OIAC « Centre for Chemistry and Technology » consulté au lien https://www.opcw.org/media-centre/featured-topics/chemtech-centre.

    [5] Voir OIAC, « Syria and the OPCW », consulté au lien https://www.opcw.org/media-centre/featured-topics/opcw-and-syria.

    [6] ONU Info, « Both ISIL and Syrian Government responsible for use of chemical weapons, UN Security Council told », 7 novembre 2017, consulté au lien https://news.un.org/en/story/2017/11/570192.

    [7] Voir OIAC, Note du secrétariat technique, Rapport de l’OIAC, Mission d’établissement des faits en Syrie concernant les incidents d’allégation d’emploi de produits chimiques comme armes à Marie, République syrienne arabe, le 1er et le 3 septembre 2015, S/2017/2022, 24 janvier 2022 [traduction non officielle].

    [8] OIAC, Note du directeur général, Rapport du comité consultatif sur les futures priorités de l’organisation concernant l’interdiction des armes chimiques, S/951/2011, 25 juillet 2011, p. 10. [traduction non officielle]

  • Et maintenant ?

    Promouvoir l’information technique et prévenir la désinformation
    Le présent rapport s’est attaqué à 26 idées fausses sur les armes biologiques et chimiques et les cadres juridiques connexes. Il a démontré que la CAB et la CAC restent pertinentes pour prévenir la prolifération des armes biologiques et chimiques et a montré pourquoi il est essentiel que les États non parties adhèrent à ces conventions. Il a en outre clarifié les définitions de termes clés pour la mise en œuvre des deux traités et remis en question les interprétations erronées de ces termes.

    Le rapport a été rédigé à un moment important pour la CAB et la CAC, pour lesquelles des conférences d’examen auront lieu en 2022 et 2023. Ces réunions de traités sont l’occasion de renforcer les instruments juridiques et leur mise en œuvre et offrent une plateforme pour le partage des connaissances. Nous espérons que cette étude pourra contribuer au débat lors de ces réunions et aider à remettre en question les idées fausses que les parties prenantes peuvent avoir.

    Tout au long du rapport, il apparait évident que des idées fausses apparemment inoffensives peuvent avoir des conséquences néfastes. Par exemple, l’idée fausse n°6 a montré comment un malentendu sur ce qui constitue une arme chimique peut saper la confiance dans le travail de l’OIAC. La nature répandue de cette idée fausse a entraîné des conséquences importantes pour l’Organisation, conduisant à l’intrusion de manifestants au siège de l’OIAC lors de la 26e Conférence des États parties 2021.[1]  L’effraction était une réponse à l’inaction perçue de l’OIAC face aux allégations d’utilisation de phosphore blanc, malgré les nombreux commentaires de l’Organisation indiquant que lorsque le phosphore blanc est utilisé comme fumée, comme moyen d’éclairage ou comme arme incendiaire, l’utilisation de cette substance ne relève pas de la CAC.[2] Ainsi, même les malentendus techniques peuvent avoir de graves conséquences dans la pratique, en compromettant la sécurité des personnes travaillant sur le terrain.

    Le rapport a également noté que les idées fausses peuvent facilement être utilisées par des acteurs malveillants pour alimenter des campagnes de désinformation, répandre la méfiance et déstabiliser les régimes de traités.  L’idée fausse n° 3 sur la recherche biologique transfrontalière a été utilisée dans des campagnes de désinformation pour jeter le discrédit sur une collaboration internationale légitime en matière de santé publique et pour affirmer que certains États violent la CAB en développant des armes biologiques. Le discours médiatique et politique autour des origines de la pandémie de COVID-19 dans cette région a encore alimenté la désinformation, ce qui a entraîné des difficultés importantes pour les parties prenantes qui s’efforcent de garantir la non-prolifération des armes biologiques. Pour reprendre les termes du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres : « La désinformation n’est pas seulement trompeuse, elle est dangereuse et potentiellement mortelle ».[3]

    Par conséquent, si nous ne nous attaquons pas aux idées fausses sur les armes biologiques et chimiques et les cadres juridiques connexes, elles peuvent alimenter les campagnes de désinformation. Les États parties à la CAB et à la CAC, ainsi que les autres acteurs concernés, sont encouragés à s’attaquer aux idées fausses en fournissant des informations techniques fondées sur des preuves pour les réfuter. Une expertise technique existe au niveau national, ainsi qu’au niveau de la CAB et de la CAC. Les acteurs de la société civile peuvent également jouer un rôle à cet égard, car ils possèdent eux-mêmes une expertise importante et peuvent fournir des points de vue alternatifs. La remise en cause des idées fausses est un processus continu et les États devront consacrer des ressources importantes à ces efforts. La dernière section présente donc 21 exemples de ressources qui peuvent être utilisées pour fournir des informations factuelles sur la CAB et la CAC et pour combattre les idées fausses et la désinformation.

    [1] Dr. Ewelina U. Ochab, « We Must Remember The Victims Of Chemical Warfare By Combating Impunity For The Crimes », Forbes, 24 novembre 2020, document consulté au https://www.forbes.com/sites/ewelinaochab/2020/11/24/we-must-remember-the-victims-of-chemical-warfare-by-combating-impunity-for-the-crimes/?sh=37269b132b5d.

    [2] Ibid.

    [3] UN News, « Reliable information ‘a matter of life and death’ UN chief tells Security Council », 12 juillet 2022, document consulté au lien https://news.un.org/en/story/2022/07/1122362.

Remerciements et avis de non-responsabilité
VERTIC souhaite remercier le UK Chemical and Biological Weapons, Counter Proliferation and Arms Control Centre du Foreign, Commonwealth and Development Office pour son soutien financier à l’élaboration de ce document. VERTIC adresse également ses remerciements à María Garzón Maceda, Elisande Nexon et Jean Pascal Zanders pour leur contribution à ce projet. Les opinions exprimées par VERTIC ne reflètent pas nécessairement les leurs. Bien que le plus grand soin ait été apporté à la préparation de ce rapport, VERTIC décline par la présente toute responsabilité découlant de son utilisation de quelque manière que ce soit. VERTIC serait reconnaissant pour toute erreur ou omission portée à son attention.
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